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bouts de papier jaunis, afin que la couleur de son bateau restât vraisemblable, au creux de cette bouteille dont les reflets allaient imiter le ciel et la mer. Il fallait encore peindre les deux lettres H.O. sur la grand’voile ; et le pavillon tricolore n’était pas non plus fixé tout au haut du grand mât. Enfin il s’agissait d’accommoder la bouteille elle-même, d’y couler avec mille précautions la colle forte qui fixerait dedans l’embarcation naine, et qui serait colorée en bleu pour figurer les vagues.

— Je sculpterai le pied une fois la barque entrée… avait dit Delphin.

Il mit dans le fond de sa main la charmante babiole, l’éleva doucement au-dessus de la table, et tous les yeux regardèrent, admiratifs.

Le gros temps d’aujourd’hui, orage d’été, n’avait pas permis la sortie de la lamentable Espérance. On entendait la pluie rageuse se ruer sur les vitres, au gré des coups de vent. Bucaille était en ville, roulant les cafés du samedi. La mère était libre pour l’après-midi, comme chaque semaine.

Quand tout le monde eut bien contemplé, Delphin reposa sa barque, avec grand soin, sur le buffet.

— On va faire le pavillon !… dit-il.

Et, mystérieux, il ajouta :

— Y aura aussi eune flamme à l’arrière, avec deux noms dessus !

— Queu noms ? demandèrent les petits garçons, intrigués.

— Vous voirez… répondit-il, évasif.

Et Ludivine, par-dessus son ouvrage, cligna des yeux vers lui, car elle avait compris.

Sans s’arrêter de coudre, la femme Bucaille remarqua :

— Y a bien des ségrets, dans ton batiau !… Mais enfin pisqu’on va tout savoir demain ou après-demain, faut pas trop s’plaindre. Mais j’vois pas encore comment qu’tu vas l’entrer dans ta bouteille, à moins qu’tu n’sois un bonhomme sorcier !

Le rire de Delphin mit deux fossettes dans ses joues dorées et