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va s’faire du nouveau, après tout cha ! Les femmes, qui m’font toujours eune vie désordonnée rapport à l’argent, vont pus avoir à dire mot, mon bateau radoubé. Et j’sortirons par tous les temps, mon Delphin, qu’t’auras tous les soirs ta part de criée à leur rapporter. Voilà !

À mesure qu’il parlait, les visages jouaient en silence leurs rôles de mimes. Celui de la grêlée s’illuminait de joie et de stupeur, celui de Delphin devenait peu à peu tout pâle ; celui de Ludivine s’imprégnait d’une indéchiffrable gaîté. Quant aux deux galopins, dérangés dans leur amusement, ils attendaient la fin pour reprendre la confection du petit pavillon tricolore, si fâcheusement interrompue.

— L’bon Dieu nous fait des grâces !… murmura la grêlée. J’me d’mandais comment qu’on s’en sortirait, avec la maladie de Maurice qui nous mange tout ! T’as bien travaillé, Bucaille !

Dans son enthousiasme elle s’était levée, surprise que les autres n’en fissent pas autant.

— Alors, dit froidement Ludivine, tu vas t’faire prêter de l’argent par c’gas-là qu’tu n’connais seul’ment point ?

Bucaille se tourna furieux :

— Est bien des paroles de femme !… fit-il avec mépris. Est-y parce que j’sommes pas cousins qu’son argent s’ra plus mauvaise qu’une autre ?

— Et comment qu’tu y rendras, toi qui n’sais seul’ment pas te gouverner ?

La mère s’indigna :

— Vas-tu y chercher des mots, à c’t’heure ?…

La dispute était amorcée. Elle fut longue et bruyante. L’opposition de Ludivine restait incompréhensible pour le père et la mère, ligués ensemble contre elle. Delphin, tout tremblant de colère et de jalousie, n’osait pas jeter son mot dans le débat. Ludivine l’étonnait comme elle étonnait ses parents. Mais il était, lui, tout plein de joie, voyant