Page:Delarue Mardrus - L’Ex-voto, 1927.djvu/165

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
155

Au logis, la même querelle, sans cesse ranimée, dressait Ludivine contre sa mère dès que celle-ci rentrait de son travail. Les enfants étaient maintenant en vacances, l’année scolaire s’étant terminée depuis peu. Ils avaient compté sur Delphin et son bateau pour les enchanter. Mais Delphin, sombre, ne voulait plus rien entendre, Une fois de plus, l’ex-voto non terminé s’empoussiérait sur le buffet.

Le mousse disparaissait pendant de longues heures. Peut-être errait-il du côté de la jetée, comme tous les marins désœuvrés ; peut-être se dirigeait-il vers le cimetière où dormait, si calme, son premier passé ; peut-être, enfin, essayait-il, en tournant autour du Grand Café Maritime, de deviner ce qui se passait entre Bucaille et Lauderin, ces étranges inséparables.

Quand cette phase eut assez duré, au moment où il se levait, un jour, prêt à sortir comme tous les après-midi depuis plus d’une huitaine :

— Dis donc ?… l’interpella Ludivine, vas-tu tous les jours courir comme ça, toi ?… Moi et puis mes frères, j’sommes-t-y des hommes des bois, pour que t’aies mal au cœur de nous ? Ces pétits-là s’ennuient d’toi quand t’es pas là. Toute la journée y m’cassent la tête avec ton bateau qu’t’as pas fini. Y veulent en voir le bout, t’entends ?…

Elle fit un pas sur lui, l’anéantit d’un regard plein de complicités, et termina :

— Y veulent en voir le bout… et moi aussi !

C’était un ordre, ordre bien doux à entendre. Obéissant, empourpré, Delphin, au milieu des cris de joie des deux enfants, se dirigea vers le buffet pour y reprendre son bateau. La table, en un instant, fut couverte par les cent débris enivrants autour desquels tant de belles heures avaient été passées déjà. Ludivine venait de prendre son ouvrage.

Et le labeur minutieux recommença, dans un silence palpitant, à peine coupé, de temps à autre, par quelques mots échangés.