Page:Delarue Mardrus - L’Ex-voto, 1927.djvu/209

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
199

— Où qu’tu veux en v’nir, à la fin, gronda-t-il avec un geste pour la repousser.

Mais elle enfonça plus profondément sa tête, renversa la nuque, laïssa filtrer entre ses cils, vers le garçon penché sur elle, un regard éperdu de femme. Et le mot qui dormait depuis des années dans son inconscience s’exhala doucement de ses lèvres :

— Je t’aime !…

Il l’entendit avec tout son instinct. Il sut qu’elle disait la vérité. Gêné par le petit Maurice qui les dévisageait, il n’osait pas faire un mouvement. Mais la pâleur extrême de son visage lui faisait de grands yeux foncés.

Et, plus convainquante encore que l’aveu qu’elle venait de faire, la petite phrase suivit, la petite phrase inquiète des vraies amoureuses :

— Et toi ?… M’aimes-tu ?…

Il ne comprenait pas ce qui lui arrivait, à la suite de quels événements elle lui revenait, par ce beau matin, brusquement transformée en amante. Il ne chercha plus à rien savoir. Il se laissa tomber dans le gouffre ouvert du bonheur.

La bouche à son oreille, à cause de l’enfant en face d’eux :

— Moi ! Jamais une minute j’n’ai arrêté d’penser à toi, Ludivine ! Si j’ai écrit ma lettre, C’était pour vous tranquilliser tous, puisque t’étais plus pour moi, pour que tout l’monde soit heureux et moi seul malheureux… Oh ! si tu savais comme j’étais malheureux ! Si tu savais comme je t’aime !

Il l’avait prise par les épaules ; il la rapprochait de lui, lentement, puissamment.

— J’t’adore, Ludivine, j’t’adore !

Et ce mot qu’elle connaissait, ce mot qui, dans la bouche de l’autre homme, la faisait éclater de rire, lui sembla quelque chose de jamais entendu, quelque chose de formidable et d’admirable, et qui faisait mourir de joie.