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Elle n’en avait jamais tant dit. Ludivine, que cette réponse prévue enchantait, fit l’offensée et les quitta brusquement, retournant tout droit chez elle.

Lauderin courut le long de la jetée pour la rattraper, pour excuser sa belle-sœur. Mais cette scène servait trop bien les projets de Mlle Bucaille.

Elle ne voulut rien entendre et rentra, claquant la porte au nez du malheureux.


✽ ✽

Elle n’avait pu parvenir à s’endormir. Ses souhaits se réalisaient si merveilleusement que le plaisir la tenait éveillée dans la nuit chaude où ses petits frères avaient un sommeil agité.

Maintenant qu’elle était en droit de bouder, rien ne l’empêchait de partir carrément seule dans la barque du père La Limande. Ce coup de tête s’expliquait parfaitement, vu son caractère impossible.

Jusqu’au moment d’aller s’embarquer, elle continuerait à refuser de voir les Lauderin, qui l’avaient fâchée. Elle savait que son fiancé n’oserait jamais donner un contre-ordre au patron de Bon-Bec. Il devait être déjà bien effaré par l’attitude de Ludivine, et elle imaginait dans quelles scènes de famille il devait actuellement se débattre. Quant à la mère Bucaille, habituée aux originalités de sa fille, elle la laisserait partir sans même chercher à la retenir.

La petite souriait dans les ténèbres. Elle se voyait d’avance naviguant vers son amour. Elle avait décidé de reprendre, pour la circonstance, sa vieille robe et ses vieux souliers d’autrefois. Ainsi serait-elle davantage semblable à son passé, plus rapprochée de son tout simple Delphin en vareuse bleue. Et, comme les vraies moulières, elle envelopperait sa chevelure d’un mouchoir de couleurs criardes qui la consolerait de tous les chapeaux parisiens qu’on lui faisait porter depuis si longtemps.