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Le cœur de la fillette battait bien fort. Et pourtant, imperceptible, une lueur de gaîté parut sur son petit visage, crânerie suprême.

L’homme vit cela. Ce fut, de sa part, un réflexe, évidemment. Avant d’avoir eu le temps d’un mouvement, Ludivine reçut une retentissante paire de claques.

L’homme était déjà rentré chez lui.

Abasourdie, assommée, la petite fille continua, pendant une seconde, à ne pas bouger de sa place. Des claques, elle en avait déjà reçu quantité, dans le bas âge, mais de ses parents, ce qui est bien naturel ; et, depuis qu’elle avait grandi, personne n’avait plus jamais levé la main sur elle, qui se fût défendue comme un chat sauvage.

Une vague d’humiliation, pour la première fois de sa vie, reflua dans tout son être. Battue !… Et battue par un étranger !

Elle entendit au loin les rires de sa horde. Et, sans attendre, elle se mit, en plein désarroi, à courir pour échapper aux railleries.

Ce fut une chasse. Ils avaient tous, filles et garçons, pris leurs jambes à leur cou pour la rejoindre et l’accabler. Car il est toujours doux pour le cœur humain, même s’il est encore enfant, de voir le chef en déconfiture.

Elle connaissait tous les trous du boulevard marin, toutes les cours basses et borgnes par lesquelles passer pour retrouver, de l’autre côté des maisons, l’étroite rue parallèle, dont les vieux toits penchent l’un vers l’autre, repaire grouillant d’une populace poissonnière.

Comme des rats, ils se glissaient à sa poursuite, mais la manquèrent. Le jour tombait. Elle put, entre chien et loup, repasser du côté du boulevard, se perdit, petite ombre, dans les taches foncées des arbres qu’on a plantés au centre de la pelouse salée, conquise sur la vase et les vagues, là où le buste du peintre Boudin, attentif, à deux pas de la jetée, regarde ce paysage de nuages et d’eau qu’il ne se lassa jamais d’éterniser sur ses toiles.