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d’injures vertigineusement accumulés dans sa tête. Il ne lui parlait que d’elle, mais il ne pensait qu’à lui, comme tout homme qui courtise une femme.

Depuis combien de temps duraient, interminables, ces enlacements désaccordés, ces paroles chuchotées ?

— J’arrivons !… prévint enfin le père La Limande.

D’un mouvement saccadé, Ludivine venait de s’arracher à la pénible étreinte. Debout, elle tira nerveusement sur son chapeau pour le remettre droit, lissa ses mèches d’un revers de main. Et ses yeux, en même temps, fixes comme ceux d’un lynx, cherchaient, de ce côté du banc, la barque chérie, la barque errante de Delphin.

La flamme de deux couleurs était restée à l’écoute de flèche.

« Il est là !… » pensa-t-elle en enfonçant ses ongles dans ses paumes.

Comme il devait frémir, lui aussi, tout en surveillant de loin le débarquement !

Le matelot de Bon-Bec, descendu sur la grève, les pieds dans l’eau, tirait sur l’amarre pour achever d’amener l’avant sur les cailloux. Comme la mer était complètement basse, à cette heure tardive, d’une seule enjambée Ludivine et Lauderin, se donnant la main, furent à leur tour sur le sol ferme. La jeune fille vit d’un coup d’œil qu’il y avait peu de monde au Ratier, aujourd’hui. Deux seules barques échouées, des cueilleurs dispersés qui ne levaient pas la tête. « Quel dommage !… » se répétait-elle, avec un besoin irrésistible de trépigner dans les cailloux.

Elle expliqua :

— Je m’dégourdis les gambes !…

Et, d’un regard désespéré, la face blêmie, elle regardait s’éloigner vers l’horizon les quatre voiles de Delphin, l’une d’elles portant les petites couleurs, signe d’amour, qui palpitaient dans la brise molle.