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et du ciel pluvieux qui descendait, elle venait de la reconnaître, la flamme de deux couleurs restée accrochée parmi les voiles abattues.

— Delphin !…

Les bras raidis et levés, sa chevelure tout debout au-dessus de sa tête, la jeune fille, la bouche grande ouverte et riant, fut pareille, pendant un instant, à l’esprit même de la tempête.

Delphin, l’ancre jetée à plus de cinquante mètres, laissait acculer son bateau contre le banc. Resté dans les environs du Ratier, il avait rencontré l’épave Bon-Bec en proie aux tourbillons. Alors, risquant toutes les morts, réalisant l’impossible, il était venu, seul dans sa barque, au secours de la bien-aimée.

Ils perçurent son geste qui leur lançait l’amarre. Lourde et mouillée, elle tomba dans l’écume, loin d’eux mais accessible, peut-être.

En s’entre-heurtant, ils s’étaient jetés dans les vagues monstrueuses. Et, sans cesse recouverts, sans cesse roulés, ils tendaient leurs mains avides.

Ce fut Ludivine qui, la première, nageant comme elle pouvait, put saisir l’amarre.

Mais Lauderin l’avait rejointe. Il y eut une lutte d’assassins au-dessus et au-dessous de l’eau.

Soudain, quatre mains vigoureuses saisirent Lauderin qui, rejeté, but un coup.

— Chacun son tour !… clamaient les deux marins.

Se sentant sauvés, ils reprenaient le courage de leur profession. Aidée par eux, cramponnée avec la force qu’on ne trouve que dans les catastrophes, la petite se laissa tirer par l’amarre, à travers les lames contradictoires qui se la rejetaient en l’écorchant sur les cailloux.

La force que mettait Delphin dans sa manœuvre était comme surnaturelle. À plat ventre à l’arrière de sa barque, il put enfin, à bout de bras, saisir la jeune fille. Un dernier effort l’enleva,