Page:Delarue Mardrus - L’Ex-voto, 1927.djvu/39

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
29

Ludivine, décidément mal lunée, accueillit ces mots par un obscur flot d’injures. La femme Bucaille s’était retournée, furieuse.

— Et vous ?… Où qu’vous étiez tous l’deux. L’école est-y faite pour les quins ?

Elle saisit le plus grand, Maurice, par l’épaule.

— Veux-tu m’dire (une gifle) où qu’tu t’es passé pour avoir déchiré comme ça ta malheureuse dépouille (une gifle). Moi qu’a resté deux heures dessus (une gifle) à la raccommoder, ces jours ?…

Le jeune Maurice, les bras devant la figure, paraît comme il pouvait. L’autre drôle, Armand, en attendant son tour, était allé philosophiquement ouvrir la porte cassée du buffet de bois blanc, petite bête mal nourrie qui cherche à manger.

Lâchant le premier, la mère pirouetta vers le second.

— Celui-là qui m’vole !.… hurla-t-elle. Non ! Non ! Un bastringue pareil, ça n’peut pas durer, vous m’entendez !

L’assiette de saindoux que tenait déjà le gosse tomba, se cassa.

L’étroite pièce put à peine contenir tous les cris et tous les gestes qui tourbillonnèrent dedans. L’entrée de Bucaille ivre et mauvais compléta la scène.

— Rendoublée feignante !… commença-t-il en donnant un coup de poing sur la table, où qu’est la soupe ?

Il faut que certaines femmes du peuple soient trempées comme l’acier pour résister à tous les assauts que subit leur système nerveux ; et l’on se demande parfois comme elles ne tombent pas sans cesse dans ces crises de nerfs qui ne sont réservées qu’au féminin de la classe aisée.

Regardant son homme des pieds à la tête avec un feint ahurissement :

— Mais qui qu’t’as vu sur ton bateau, c’matin, toi ?… riposta-t-elle ironiquement.

Et ce fut au milieu d’un charivari multiple et compliqué que la famille, enfin, commença son maigre repas.