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La femme Bucaille s’était approchée. Elle empoigna les petites épaules et se mit à les secouer.

— Qui qu’t’as ?… répéta-t-elle. Vas-tu m’le dire ?

Et, certes, ses larmes s’étaient arrêtées.

Toujours hypnotisée sur la même vision, Ludivine articula d’une voix sans timbre, répétant exactement ce qu’elle venait d’entendre dehors :

— Le Herpe et son aîné fils, Julien, se sont néyés c’te nuit. On n’a pas encore retrouvé les cadavres.

La stupeur et l’horreur de l’autre s’exhalèrent en une seule clameur :

— Hélà !…

Puis il se fit un court silence pendant lequel la foudroyante nouvelle achevait de prendre corps.

La grêlée avait saisi ses tempes dans ses mains. L’espèce de griserie qui entre dans les maisons avec l’annonce des catastrophes pénétrait en elle, la consolait rapidement de son malheur, si minime à côté de celui-là. Et vite l’interrogatoire commença, pressé, anxieux, oiseux :

— Qui qui te l’a dit ?… Comment qu’c’est arrivé ?… Y a donc eu une pareille tempête c’te nuit ? Comment qu’on l’a su ?… La barque est-y perdue itou ? La femme le sait-elle déjà ?… Et l’autre jeune homme. Est-il néyé avec eux autres ?…

Monotone, Ludivine répondit à tout :

— J’sais point… J’sais point…

Elle ne vit même pas sa mère sortir en ouragan pour courir aux détails. Elle ne se rendit pas compte que ses frères ni son père n’étaient là, qu’elle se trouvait seule à la maison. Assise sur sa chaise, hébétée, elle essayait de revenir à elle, de se remettre du coup reçu sur la tête. Et elle était, en vérité, comme une petite veuve à qui l’on vient d’apprendre la mort de son homme.

Noyé !… Il était noyé, le grand marin aux yeux couleur d’océan