— Tu m’espères ?…
Il s’activait en bas, avec son matelot. Celui-ci monta le premier, portant la pêche, un panier mouillé dans lequel sautaient les crevettes grises. Bucaille suivait. Quand il eut pris pied sur la jetée :
— Qui qu’y a ?… fit-il, inquiet.
C’était l’heure où, n’ayant presque pas encore bu, le marin avait le regard doux et l’âme bonnasse ; et la rusée petite le savait bien.
Il l’embrassa sur les cheveux.
— Dis à ton matelot d’aller à la criée, dit-elle. J’ai à te parler.
Croyant peut-être à quelque malheur, il obéit docilement.
Quand il revint vers elle, il répéta tout bas, d’un air effrayé :
— Qui qu’y a ?
— Rentrons ! dit-elle. Je vas expliquer en route.
Ils marchèrent côte à côte, père blond, fille blonde, pareils cheveux déteints et pareilles prunelles transparentes, petite lueur de source entre les épais cils noirs. Le port, tout à l’heure muet, s’était animé subitement du retour des barques. Et le sifflet du bateau à roues, tout près d’entrer, avait fait surgir la petite fourmilière humaine de tous les jours le long du quai d’abordage.
— Eh ben ?… fit impatiemment Bucaille, au bout de quelques pas.
— Eh ben ! dit-elle avec calme. Est entendu ! Delphin vient habiter chez nous, et y n’demande pas mieux que d’te servir de matelot !
Elle ne le laissa pas placer une exclamation. Tout en coudoyant des gens pour passer, dans le brouhaha gesticulant du quai :
— Y vient manger avec nous c’midi, comme de juste. Tu vas pouvoir l’interroger sû l’métier. Et j’suis bien certaine qu’y t’répondra comme y faut !
Bucaille, allongeant ses grandes jambes pour rattraper sa fille qui passait toujours devant :
— Ah ! mais !… Ah ! mais !…
Et, les bras ballants, il ne sut rien dire de plus devant le fait accompli.