Page:Delarue Mardrus - L’Ex-voto, 1927.djvu/98

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
88


✽ ✽

Pendant les premiers jours, Bucaille, comme d’ordinaire, revint au logis, après la pêche, avec son petit matelot. Mais un soir, — il était sept heures, — Delphin rentra tout seul.

Ce fut Ludivine, bien entendu, qui parla la première. Elle mettait le couvert sur la belle toile cirée venue des Le Herpe.

— Où qu’est le père ?

L’orphelin devint tout rouge. Il avait, jusqu’ici, passé sous silence les petites séances au café.

Pouvait-il avoir l’air d’espionner son patron ? Sa situation dans la maison était difficile.

— M’sieu Bucaille est resté au débit, dit-il, avec des amis.

Ludivine, les mains aux hanches, le dévisageait. La grêlée, qui lavait dans un coin, leva le nez. Les petits frères refermèrent les livres où ils apprenaient leurs leçons.

Au débit ?… commença la fillette. Queu débit ?… Il a-t-y pas sa gnole ici dans l’armoire, s’il veut ?

Elle fit un pas en avant, remua son doigt devant son nez, terrorisa Delphin d’un regard fulgurant, et continua :

— T’y as déjà été avec lui, dans ce sacré mâdit débit, toi !

L’orphelin baissa profondément la tête.

— Est la froid qui vous grippe… balbutia-t-il. On n’pourrait pas marcher sans !

Tout indirect qu’il fut, cet aveu mit Ludivine hors d’elle.

— Ça y est !… vociféra-t-elle de sa voix de tête des grands jours. Est bien les façons au père La Goutte ! Y va nous débaucher c’gas-là et en faire un furibond comme lui !

Un nouveau pas sur le mousse éperdu :

— T’entends ?… si jamais j’te vois r’venir avec du vent dans les voiles, quoique t’es mon aîné, jte flanque deux coups d’tampon par l’côté d’la hure !