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Page:Delatour - Adam Smith sa vie, ses travaux, ses doctrines.djvu/108

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des conclusions. Pour lui, la perfection consiste à sentir beaucoup pour les autres et peu pour soi-même, à réduire le plus possible l’amour de soi et à s’abandonner à toutes les affections douces et bienveillantes : c’est là, selon lui, la tendance sublime que Dieu a mise en nous et qui doit nous conduire tous au but final de notre nature, l’harmonie universelle.


Nous venons de parler de Dieu. En effet, quoiqu’on ait souvent reproché à Smith de partager, au point de vue théologique, le scepticisme de son ami Hume, et qu’il ait paru donner raison à ces attaques en acceptant la mission de surveiller la publication des Dialogues sur la Religion naturelle, l’auteur de la Théorie des sentiments moraux n’en était pas moins convaincu de l’existence de Dieu comme de l’immortalité de l’âme, et il avait même fait de cette doctrine métaphysique le couronnement et la sanction de sa morale. C’est que le spectateur impartial qu’il a constaté en nous ne lui paraît pas suffisant pour guider dans tous les cas notre conduite ; il reconnaît que ce spectateur reste parfois surpris et étourdi par la violence des faux jugements d’autrui à notre égard, et que, n’étant d’ailleurs que la résultante des précédents jugements des hommes, il ne peut au nom de cette résultante de certains jugements, en rejeter d’autres d’une manière absolue. Il lui faut donc faire intervenir dans le système un spectateur possédant une autorité supérieure, soustrait aux influences des passions humaines, et ce spectateur universel que Smith ne veut pas chercher dans la raison, il le place en Dieu, juge suprême en même temps que grand justicier, qui donne, dans une autre vie, une sanction à la loi morale. « Nous osons à peine nous absoudre nous-mêmes, dit-il[1], quand les autres nous condamnent. Il nous semble que ce témoin, supposé impartial, de notre conduite, avec lequel notre conscience sympathise toujours, hésite à nous approuver quand nous avons unanimement et violemment contre nous les véritables spectateurs, ceux dont nous cherchons à prendre les yeux et la place pour nous envisager nous-mêmes. Cet esprit intérieur, cette

  1. Théorie des sentiments moraux, IIIe partie, ch. II, p. 148.