Page:Delatour - Adam Smith sa vie, ses travaux, ses doctrines.djvu/145

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remonter plus haut pour rechercher le principe même du travail. Il aurait constaté ainsi que le travail n’est lui-même qu’un effet, un développement de la puissance productive de l’homme, c’est-à-dire de l’esprit, et il est assez étonnant qu’il ne se soit pas élevé jusqu’à cette considération supérieure, car il avait consacré toute la première partie de sa vie à l’étude de l’âme humaine dans ses diverses manifestations. Il aurait dû remarquer que le véritable principe de la valeur, le fonds primitif qui fournit toutes les choses nécessaires et commodes à la vie, est l’esprit, et que, suivant l’expression de V. Cousin, la richesse n’est autre chose que le développement régulier de la force qui constitue l’homme. Ce point de vue élevé n’a peut-être pas échappé, il est vrai, à l’esprit philosophique d’Adam Smith, mais il eût été nécessaire qu’il le consignât et l’exposât dans son livre : il eût ainsi évité à ses successeurs et à ses disciples bien des vues étroites et des erreurs regrettables, comme cette distinction malheureuse du travail productif et du travail improductif.

Malgré cette réserve, la portée de la doctrine de Smith devait être considérable, car le principe sur lequel elle s’appuie plaçait, de prime abord, la science nouvelle au nombre des sciences morales. En effet, puisque le travail, source des richesses, est dirigé par l’intelligence et éminemment perfectible, la science des richesses doit donc être classée parmi celles qui tendent à améliorer leur objet. Or, il n’en était pas ainsi de l’économie politique de Quesnay plaçant la richesse dans la terre même et non dans le travail qui met celle-ci en valeur, elle se rangeait d’elle-même parmi les sciences naturelles qui n’ont pour objet que la connaissance et l’exposition des lois qui régissent les choses.

Par là aussi Adam Smith se séparait en même temps, dès la première page de son livre, de l’école physiocratique, sur la question fondamentale de la valeur. Les économistes français ne voyaient de valeur que dans un excédent matériel, et, comme la terre seule est susceptible de produire cet excédent, ils en concluaient qu’elle est la seule source des richesses, confondant ainsi la condition de la valeur avec son principe même. Smith n’est pas tombé dans la même erreur, et, grâce à son expérience de la méthode analytique, le délicat observateur de