Page:Delatour - Adam Smith sa vie, ses travaux, ses doctrines.djvu/186

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suivant les individus, et surtout suivant la race, les professions, les modes d’alimentation ; l’adresse professionnelle, qui dirige la force physique, varie encore davantage, et les instruments qui donnent au travail toute sa puissance, sont aussi bien différents selon les lieux et les époques. Il n’en est pas de deux hommes comme de deux machines qui peuvent fournir exactement le même produit dans le même laps de temps, et on aura beau choisir avec soin deux individus, ils n’auront pas tous deux identiquement la même force musculaire, la même dextérité ; leur produit ne sera donc pas le même, alors qu’ils feraient un effort égal.

Mais c’est au point de vue de l’invariabilité du sacrifice que se sont placés les défenseurs de la doctrine de Smith. « Le salaire d’un ouvrier dans l’Inde, dit Germain Garnier dans la Préface de sa traduction des Recherches, n’est peut-être qu’un cinquième de ce que reçoit un ouvrier à Paris pour la même quantité de travail ; cependant l’Indien comme le Parisien ont fourni, dans l’espace d’une journée, la même quantité de leur temps, de leur force, de leur repos et de leur liberté. Le travail est beaucoup plus productif dans une société civilisée et industrieuse que dans une société naissante et peu avancée, c’est-à-dire que dans la première de ces sociétés, celui qui emploie l’ouvrier et qui paie son travail en retire des produits plus abondants et d’une plus grande valeur ; mais, dans ces deux états de la société, ce que donne l’ouvrier est toujours, quant à lui, la même valeur ; c’est toujours un sacrifice pareil de son temps et de sa liberté ; c’est toujours l’emploi de sa force à l’ouvrage quelconque qui lui a été commandé. — C’est là un aspect moral tout autre assurément que celui que l’auteur a dû envisager ici. Quoi qu’il en soit, il n’en résulte nullement que ces deux hommes, qui ont donné le même effort, aient produit la même valeur.

Pour nous, il n’existe pas de commune mesure des valeurs ; si la valeur se règle sur les frais de production, c’est néanmoins la loi de l’offre et de la demande qui seule la détermine. Dans l’offre, il ne faut pas même se contenter de comprendre la quantité de marchandises qui se trouve sur le marché, il est nécessaire de faire entrer aussi en ligne de compte l’intensité du désir