Page:Delatour - Adam Smith sa vie, ses travaux, ses doctrines.djvu/27

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec tout le soin qu’il comporte, mais nous pouvons dire dès maintenant qu’il eut un immense succès. Quelque opinion que l’on pût avoir, en effet, sur le fond même de la doctrine de l’auteur, il était impossible de ne pas être séduit par les observations délicates et consciencieuses, les aperçus fins et ingénieux de cette étude de la sympathie, et ces mérites furent parfaitement appréciés par la société écossaise, naturellement portée vers les recherches psychologiques. Aussi le traité de Smith provoqua un tel enthousiasme que, malgré les préventions nationales des Anglais de cette époque à l’égard des ouvrages écrits au delà de la Tweed, ce succès gagna leur pays, et, bientôt même, la Théorie des sentiments moraux fit fureur à Londres.

D’ailleurs, David Hume était alors en Angleterre, et, bien que les doctrines philosophiques d’Adam Smith ne fussent nullement les siennes, il mettait tout en œuvre pour faire connaître le livre de son ami. « Wedderburn et moi, écrivait-il à Smith le 12 avril 1759, nous avons fait don de nos exemplaires à des personnes de notre connaissance que nous estimons être bons juges et propres à répandre la réputation de l’ouvrage. J’en ai envoyé un au duc d’Argyle, au lord Littleton, à Horace Walpole, à Soame Jenins et à Burke, gentilhomme irlandais, qui a écrit en dernier lieu un très-joli Traité du Sublime. Millar m’a demandé la permission d’en envoyer un au Dr Warburton. »

Le succès du livre s’affirma donc dès les premiers jours, et, par cette même lettre dont nous venons de citer quelques lignes, Hume pouvait déjà l’annoncer à Adam Smith. Il le fit dans des termes si spirituels que nous ne pouvons résister au désir de reproduire certains passages de ce document, d’autant plus qu’il nous fait bien connaître le degré d’intimité qui existait entre les deux philosophes. Sachant Smith très-inquiet sur le sort de son livre, Hume se plaît à se jouer de son impatience ; il lui parle de choses et d’autres, d’un ami à recommander, d’ouvrages en cours de publication, alors qu’il sait pertinemment qu’il n’y a qu’une seule nature de faits qui puisse intéresser à ce moment son interlocuteur, prenant ainsi plaisir à agacer le jeune professeur dont il connaît le caractère bouillant :