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donner sans ruiner le contribuable et en recourant à l’emprunt pour obtenir tout le surplus.


Néanmoins, on ne saurait reprocher à Adam Smith d’avoir voulu réagir contre la tendance funeste des gouvernements de son époque à multiplier sans nécessité les appels au crédit. Le système des emprunts a tant de charmes : l’État n’a qu’à demander des fonds, et chacun accourt pour lui porter le fruit de ses épargnes ; on fait queue à ses guichets. Au temps déjà du célèbre philosophe, on regardait comme une faveur d’être admis aux souscriptions, et le gouvernement se faisait ainsi des amis, tandis que par l’impôt il ne se fût fait que des ennemis. Les préjugés les plus spécieux le poussaient du reste à se laisser aller sur cette pente glissante au bas de laquelle est la banqueroute. L’État ne peut être affaibli par ses dettes, disait Melon, attendu que les intérêts sont en somme payés par la main droite à la main gauche ; selon Pinto, les emprunts créent dans l’État un nouveau capital qui s’ajoute à l’ancien ; enfin Voltaire lui-même voyait dans les dettes publiques un encouragement à l’industrie.

Smith a parfaitement réfuté les erreurs de Pinto et de Melon. « Il y a un auteur, dit-il[1], qui a représenté les fonds publics des différentes nations endettées de l’Europe, et spécialement ceux de l’Angleterre, comme l’accumulation d’un grand capital ajouté aux autres capitaux du pays, au moyen duquel son commerce a acquis une nouvelle extension, ses manufactures se sont multipliées, et ses terres ont été cultivées et améliorées beaucoup au delà de ce qu’elles l’eussent été au moyen de ses autres capitaux seulement. Cet auteur ne fait pas attention que le capital avancé au Gouvernement par les premiers créanciers de l’État, était, au moment où ils ont fait cette avance, une portion du produit annuel qui a été détournée de faire fonction de capital pour être employée à faire fonction de revenu, qui a été enlevée à l’entretien des ouvriers productifs pour servir à l’entretien de salariés non productifs et pour être dépensée et dissipée dans le cours, en général, d’une seule année, sans laisser

  1. Rich., liv. V, ch. III (t. II, p. 636).