Page:Delatour - Adam Smith sa vie, ses travaux, ses doctrines.djvu/326

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vement que la main qui les déplace, et que, dans le grand jeu des sociétés humaines, chaque partie a un principe de mouvement qui lui est propre et qui est absolument différent de celui dont le législateur a fait choix pour le lui imprimer : quand ces deux principes coïncident et ont la même direction, le jeu de la machine sociale est facile, harmonieux et prospère ; s’ils sont opposés l’un à l’autre, ce jeu est discordant et funeste, et la machine sociale est bientôt dans un désordre absolu. »

Ce passage admirable fait connaître sous son véritable jour l’esprit du maître, si différent de celui des philosophes français de son époque, et il donne le secret de sa puissance sur ses compatriotes. De nos jours encore les gouvernements ne sauraient trop s’inspirer de ces maximes, conformes à la fois aux principes de la morale et à ceux de la politique.

On a contesté à Adam Smith l’honneur d’avoir fondé l’économie politique, et Français et Anglais ont apporté dans cette discussion une passion regrettable : nous n’y interviendrons pas. Mais que cet honneur revienne aux physiocrates ou à l’économiste écossais, la gloire de ce dernier n’a nullement besoin d’être rehaussée. Si les premiers avaient fondé la science et creusé habilement, suivant l’expression de Germain Garnier, un terrain que personne n’avait pu défricher avant eux, c’est du moins Adam Smith qui sut lui faire porter des fruits. Ils n’avaient que des idées spéculatives, émises dans un langage particulier et peu réalisables, il les traduisit, les rectifia, les compléta, et il en fit, en politique, des applications sages et fécondes.

Son champ d’action fut immense et les services qu’il a rendus à l’humanité ne sont pas à énumérer. Loin qu’il nous en coûte d’ailleurs de le reconnaître, nous sommes plutôt tenté de nous en enorgueillir : les illustrations de l’Écosse sont, en effet, un peu les nôtres, et, de même que récemment l’Université d’Edimbourg, en fêtant solennellement son troisième centenaire, donnait la première place aux représentants de la France, de même nous sommes heureux de devoir à cette terre-sœur cette sympathique figure du grand économiste.