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l’emploi de votre temps dans votre retraite. Je vous déclare positivement que vous vous trompez dans plusieurs de vos spéculations, et particulièrement dans celles où vous avez le malheur de différer de mes opinions. Voilà bien des raisons pour avoir un entretien et je souhaite que vous me fassiez enfin quelque proposition raisonnable à ce sujet. Il n’y a point d’habitation dans l’île d’Inchkeith, sans quoi j’aurais choisi ce lieu pour vider notre différend, et nous n’en serions point sortis que nous ne fussions tombés d’accord sur tous les points en controverse. J’attends ici demain le général Conway ; je l’accompagnerai à Roseneath et j’y passerai quelques jours. À mon retour, j’espère trouver une lettre de vous, qui m’annoncera que vous acceptez en homme de cœur le défi que je vous, signifie.


Et il renouvelle sans cesse ses tentatives. En 1772, il le conjure encore de venir passer quelques jours avec lui à Édimbourg.

« Je n’accepterai point, écrit-il[1], l’excuse de votre santé, que je n’envisage que comme un subterfuge inventé par l’indolence et l’amour de la solitude. En vérité, mon cher Smith, si vous continuez d’écouter tous ces petits maux, vous finirez par rompre entièrement avec la société, au grand détriment des deux parties intéressées. »


Smith avait toujours un motif quelconque à faire valoir pour ne pas quitter sa retraite, et, sauf un petit voyage qu’il fit à Londres en passant par Édimbourg, au mois d’avril 1773, il reste constamment à Kirkaldy, préparant son immense ouvrage qui dénote, en effet, une somme de travail considérable et qu’il modifia jusqu’au dernier moment au moyen des nouveaux documents qu’il pouvait recueillir[2].

Il rédigeait d’ailleurs fort lentement, malgré l’apparente limpidité de son style, et il en faisait encore la remarque à Dugald-Stewart peu de temps avant sa mort. Cependant tout le travail de la composition s’effectuait dans son esprit même et il ne dictait à son secrétaire le résultat de ses méditations que lorsqu’un

  1. Dugald-Stewart, Loc. cit.
  2. C’est ainsi que nous trouvons dans la Richesse des Nations des documents officiels qui venaient de paraître très peu de temps avant la publication de l’ouvrage : par exemple, la situation de la dette fondée de la Grande-Bretagne au 5 janvier 1775 (Richesse des Nations, livre V, ch. III, p. 635).