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classifications et par des méthodes déductives ; l’Anglais, par induction, grâce à la représentation lucide et persistante d’une quantité de faits individuels, par l’accumulation indéfinie des documents isolés et juxtaposés. Quiconque a étudié leur littérature et leur philosophie, depuis Shakespeare et Bacon jusqu’à, aujourd’hui, sait que cette inclination chez eux est héréditaire et qu’elle appartient à la forme même de leur esprit, qu’elle tient à leur façon de comprendre la vérité. Selon eux, l’arbre doit se juger aux fruits et la spéculation à la pratique ; une vérité n’a de prix que si elle provoque des applications utiles. Au-delà des vérités banales, il n’y a que des chimères vaines. Telle est la condition de l’homme : un cercle restreint capable de s’élargir, mais toujours fermé de barrières, dans lequel il faut savoir, non pour savoir mais pour agir, la science n’étant valable que par le contrôle qui la vérifie et l’usage auquel elle sert. »

Or, l’œuvre de Smith répondait parfaitement à ce besoin de ses compatriotes : son ouvrage était hérissé de faits. Point de théorie qu’il ne prouvât par des exemples divers et surtout multiples ; point de doctrine dont il ne fit aussitôt ressortir toutes les applications. Il avait débarrassé l’économie politique de l’appareil solennel et formulaire dont les physiocrates l’avaient entourée et qui en rendait l’étude inabordable au plus grand nombre, s’attachant, au contraire, à présenter ses idées simplement, de façon à les faire entrer plus facilement dans l’esprit de ses lecteurs.

De plus, il ne comprenait pas l’économie politique elle-même comme Quesnay et Turgot : il n’y voyait pas seulement une science, mais aussi un art, et son bon cœur ne pouvait se résigner à énoncer un principe sans en rechercher immédiatement toutes les applications dans l’intérêt de l’humanité. « L’économie politique, dit-il en tête du deuxième volume de ses Recherches, considérée comme une branche des connaissances du législateur et de l’homme d’État, se propose deux objets distincts : le premier, de procurer au peuple un revenu ou une subsistance abondante, ou, pour mieux dire, de le mettre en état de se procurer lui-même ce revenu ou cette subsistance abondante ; le second objet est de fournir à l’État ou à la com-