Page:Delatour - Adam Smith sa vie, ses travaux, ses doctrines.djvu/84

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d’égoïsme. Mais il s’aperçut bien vite qu’il ne pouvait atteindre ce but directement par la méthode inductive et que le travail de toute une vie d’homme ne suffirait même pas à réunir des matériaux en assez grand nombre pour en tirer des généralisations de quelque valeur. « Sous l’empire de cette idée, ajoute l’auteur anglais, et sans doute sous l’empire encore plus grand des habitudes intellectuelles qui régnaient autour de lui, il résolut, d’adopter la méthode déductive ; mais, tout en cherchant à fixer les prémisses d’où découlerait le raisonnement et sur lesquelles il voulait bâtir son édifice, il eut recours à un artifice particulier, parfaitement valable d’ailleurs, et qu’il avait assurément le droit d’employer, bien que, pour le mettre en œuvre, il faille un tact si délicat, tant d’exquise subtilité, qu’il y a très peu d’écrivains qui s’en soient servis avantageusement en traitant des questions sociales, soit avant, soit après Smith… En effet, lorsqu’on ne peut appliquer la méthode inductive à un sujet quelconque, soit qu’il se refuse à toute expérience, soit en raison de son extrême complexité naturelle ou de la présence de détails multiples et embarrassants dans lesquels il est englobé, on peut alors faire une division imaginaire de faits indivisibles et raisonner en s’appuyant sur des séries d’événements qui n’ont aucune existence réelle et indépendante et qui ne se trouvent absolument que dans l’esprit du philosophe. Un résultat acquis de cette façon ne saurait être strictement vrai, mais si le raisonnement est exact, la conclusion sera aussi près de la vérité que les prémisses d’où nous serons partis. Pour parfaire sa vérité, il faut confronter le résultat avec d’autres acquis de la même façon et sur le même sujet. On pourra finir par coordonner en un seul système toutes les conclusions isolées, si bien que, tandis que chacune d’elles ne contient qu’une vérité imparfaite, leur tout réuni renfermera la vérité parfaite. »

C’est là, d’après Buckle, la méthode déductive qu’a employée le Dr Smith, et voilà pourquoi il a fait deux ouvrages distincts pour étudier un même sujet, l’âme humaine. Dans la Théorie des sentiments moraux, il explore le côté sympathique de notre nature ; dans la Richesse des Nations, il en fouille le côté égoïste. Dans chacune de ces monographies, son raisonnement ne s’applique qu’à une partie des prémisses et trouve son complément