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L’examen critique du Dictionnaire de Johnson est d’ailleurs fort remarquable. Ce grand ouvrage venait de paraître, après sept années d’un travail opiniâtre et grâce au concours des libraires de Londres qui avaient avancé à Johnson l’argent nécessaire à ses besoins pour lui permettre d’achever son œuvre. Or, Adam Smith avait attendu avec impatience cette publication, qui devait être pour lui d’un secours considérable dans la rédaction de son Traité sur la morale, car il n’avait guère parlé que l’Écossais jusqu’à sa quinzième année, et, quoiqu’il s’exprimât depuis lors fort correctement en anglais, il n’était pas encore arrivé à se familiariser avec les idiotismes de cette langue ni avec le maniement des synonymes[1]. Il avait donc compté trouver dans ce dictionnaire un auxiliaire précieux pour son style ; mais son espoir fut un peu déçu et il ne put en tirer tout le parti qu’il avait espéré. Aussi, formulant contre ce travail un certain nombre de critiques, il les exposa dans un article qu’il adressa à la Revue d’Édimbourg.

« Les différentes significations d’un mot, écrit-il, s’y trouvent à la vérité recueillies, mais rarement elles sont digérées en classes générales ou rangées sous la signification que le mot est principalement destiné à exprimer, et les mots synonymes en apparence n’y sont pas toujours distingués avec assez de soin. » Puis, afin de bien démontrer l’exactitude de ses critiques, il prend pour exemples les mots but et humour, et, après avoir fait remarquer la méthode défectueuse suivie par Johnson dans l’exposition des modes d’emploi de ces deux termes, il refait lui-même les deux articles d’après le plan qu’il préconise.

  1. « On raconte, rapporte M. W. Bagehot, que lord Mansfield dit un jour à Boswell qu’en lisant soit Hume, soit Smith, il ne croyait pas lire de l’anglais, ce qui après tout, ne doit pas beaucoup surprendre puisque l’anglais n’était la langue maternelle ni de l’un ni de l’autre. Smith en effet avait parlé l’écossais courant jusqu’à sa quatorzième ou quinzième année, et rien ne gêne la liberté d’allure de la plume comme d’écrire dans une langue avec le souvenir perpétuel d’une autre dans la tète. Vous n’êtes jamais sûr que les idiotismes qui vous viennent naturellement à l’esprit sont bien ceux de la langue que vous voulez parler et non les idiotismes de la langue dont vous ne voulez pas vous servir. » (Fortnightly Review.)