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priété ou de l’impropriété de ses affections, de la perfection ou de l’imperfection de son âme[1]. » Et plus loin : « C’est aussi d’après ce rapport que nous portons nos premières critiques morales sur le caractère et la conduite des autres et que nous sommes disposés à observer les impressions qu’ils nous donnent. Mais nous nous apercevons bientôt que les autres jugent nos actions aussi librement que nous jugeons les leurs. Nous nous inquiétons de savoir jusqu’à quel point nous méritons leurs censures ou leurs applaudissements, et jusqu’à quel point nous sommes pour eux ce qu’ils sont pour nous, des êtres agréables ou désagréables. Dans cette vue, nous examinons nos sentiments et notre conduite, et, pour savoir comment elle doit leur paraître, nous cherchons à découvrir comment elle nous paraîtrait à nous-mêmes si nous étions à leur place. » Nous nous divisons donc, en quelque sorte, en deux personnes distinctes, dont l’une juge et l’autre est jugée.

Toutefois, le bon sens de Smith l’arrête sur cette pente qui devrait l’amener fatalement à ne reconnaître d’autre tribunal que l’opinion, si souvent variable et parfois passionnée. Il éprouve le besoin de donner à l’homme un juge plus immuable et plus éclairé, et, malgré la contradiction de cette idée avec tout son système, il déclare que si l’homme est, en quelque sorte, le juge immédiat de l’homme, il n’est son juge qu’en première instance ; « il appelle, dit-il, de la sentence prononcée contre lui par son semblable, à un tribunal supérieur, à celui de sa conscience, à celui d’un spectateur que l’on suppose impartial et éclairé, à celui que tout homme trouve au fond de son cœur et qui est l’arbitre et le juge suprême de toutes ses actions. »

Ainsi, d’après l’auteur, pour examiner notre conduite, nous sommes forcés d’abord de reporter sur nous-mêmes les jugements que nous avons faits sur nos semblables, puis nous tirons peu à peu des cas particuliers qui ont donné lieu à notre sympathie ou à notre antipathie une règle générale pour tous les cas semblables ou analogues : c’est ainsi que se forme le jugement de notre spectateur impartial, et ce jugement devient

  1. Théorie des sentiments moraux, IIIe partie, chap. Ier, p. 127.