Page:Delavigne - Œuvres complètes, volume 4, Didot, 1881.djvu/35

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Ces murs battus des eaux, à demi renversés
Par le choc des boulets que Venise a lancés,
C’est Coron. Le croissant en dépeupla l’enceinte ;
Le turc y règne en paix au milieu des tombeaux.
Voyez-vous ces turbans errer sur les créneaux ?
Du profane étendard qui chassa la croix sainte
Voyez-vous, sur les tours, flotter les crins mouvants ?
Entendez-vous, de loin, la voix de l’infidèle,
Qui se mêle au bruit sourd de la mer et des vents ?
Il veille, et le mousquet dans ses mains étincelle.

Au bord de l’horizon le soleil suspendu
Regarde cette plage, autrefois florissante,
Comme un amant en deuil, qui, pleurant son amante,
Cherche encor dans ses traits l’éclat qu’ils ont perdu,
Et trouve, après la mort, sa beauté plus touchante.
Que cet astre, à regret, s’arrache à ses amours !
Que la brise du soir est douce et parfumée !
Que des feux d’un beau jour la mer brille enflammée !…
Mais pour un peuple esclave il n’est plus de beaux jours.

Qu’entends-je ? C’est le bruit de deux rames pareilles,
Ensemble s’élevant, tombant d’un même effort,
Qui de leur chute égale ont frappé mes oreilles.
Assis dans un esquif, l’œil tourné vers le bord,
Un jeune homme, un chrétien, glisse sur l’onde amère.
Il remplit dans le temple un humble ministère :
Ses soins parent l’autel ; debout sur les degrés,
Il fait fumer l’encens, répond aux mots sacrés,
Et présente le vin durant le saint mystère.

Les rames de sa main s’échappent à la fois ;
Un luth qui les remplace a frémi sous ses doigts.
Il chante… Ainsi chantaient David et les prophètes ;
Ainsi, troublant le cœur des pâles matelots,
Un cri sinistre et doux retentit sur les flots,