Page:Delavigne - Œuvres complètes, volume 4, Didot, 1881.djvu/59

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L’œil baissé vers la terre où chacun de ses pas
Laissait une empreinte sanglante,
Elle s’avançait chancelante
En murmurant ces mots : meurt et ne se rend pas.
Loin d’elle les trésors qui parent la conquête,
Et l’appareil des drapeaux prisonniers !
Mais des cyprès, beaux comme des lauriers,
De leur sombre couronne environnaient sa tête.

« Tu ne me connaîtras qu’en cessant d’être roi.
Écoute et tremble : aucune autre journée
Dans tes fastes jamais n’aura place après moi,
Et je n’eus point de sœur aînée.

« De vaillance et de deuil souvenir désastreux,
J’affranchirai les rois que ton bras tient en laisse,
Et je transporterai la chaîne qui les blesse
Aux peuples qui vaincront pour eux.
Les siècles douteront, en lisant ton histoire,
Si tes vieux compagnons de gloire,
Si ces débris vivants de tant d’exploits divers,
Se sont plus illustrés par trente ans de victoire,
Que par un seul jour de revers.

« Je chasserai du ciel ton étoile éclipsée ;
Je briserai ton glaive et ton sceptre d’airain :
La force est sans appui, du jour qu’elle est sans frein.
Adieu ! Ton règne expire, et ta gloire est passée. »

Toutes trois vers le ciel avaient repris l’essor,
Et le guerrier surpris les écoutait encor :
Leur souvenir pesait sur son âme oppressée ;
Mais aux roulements du tambour,
Cette image bientôt sortit de sa pensée,
Comme l’ombre des nuits se dissipe effacée
Par les premiers rayons du jour.