Page:Delavigne - Œuvres complètes, volume 4, Didot, 1881.djvu/74

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Il marche, il marche encore, et toujours ; et la sonde
Plonge et replonge en vain dans une mer sans fond.

Le pilote en silence, appuyé tristement
Sur la barre qui crie au milieu des ténèbres,
Écoute du roulis le sourd mugissement,
Et des mâts fatigués les craquements funèbres.
Les astres de l’Europe ont disparu des cieux ;
L’ardente croix du Sud épouvante ses yeux.
Enfin l’aube attendue, et trop lente à paraître,
Blanchit le pavillon de sa douce clarté :
« Colomb, voici le jour ! le jour vient de renaître !
« — Le jour ! et que vois-tu ? — Je vois l’immensité. »

Qu’importe ? il est tranquille… Ah ! l’avez-vous pensé ?
Une main sur son cœur, si sa gloire vous tente,
Comptez les battements de ce cœur oppressé,
Qui s’élève et retombe, et languit dans l’attente ;
Ce cœur qui, tour à tour brûlant et sans chaleur,
Se gonfle de plaisir, se brise de douleur ;
Vous comprendrez alors que durant ces journées
Il vivait, pour souffrir, des siècles par moments.
Vous direz : Ces trois jours dévorent des années
Et sa gloire est trop chère au prix de ses tourments !

Oh ! qui peindra jamais cet ennui dévorant,
Ces extases d’espoir, ces fureurs solitaires,
D’un grand homme ignoré qui lui seul se comprend ?
Fou sublime, insulté par des sages vulgaires !
Tu le fus, Galilée ! Ah ! meurs… Infortuné,
A quel horrible effort n’es-tu pas condamné,
Quand, pâle, et d’une voix que la douleur altère,
Tu démens tes travaux, ta raison et tes sens,
Le soleil qui t’écoute, et la terre, la terre,
Que tu sens se mouvoir sous tes pieds frémissants !