Page:Delavigne - Œuvres complètes, volume 4, Didot, 1881.djvu/76

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Tombent lassés sur l’or des rochers qu’ils déchirent ;
Cadavres animés, poussant des cris confus
Vers ce divin soleil qu’ils ne reverront plus,
S’agitant, se heurtant dans ces vapeurs impures,
Pour fuir par le travail le fouet qui les poursuit,
Et qu’une longue mort traîne dans les tortures
De cette nuit d’horreur à l’éternelle nuit.

Cet or, fruit douloureux de leur captivité,
Par le crime obtenu pour enfanter le crime,
Va servir d’un tyran la sombre cruauté,
Et peser sur le joug des sujets qu’il opprime.
Pour corrompre un ministre, enrichir un flatteur,
Payer l’injuste arrêt d’un noir inquisiteur,
Par cent chemins honteux du trésor d’un seul homme
Il s’échappe, et, passant de bourreaux en bourreaux,
Va s’engloutir enfin dans le trésor de Rome,
Qui leur vend ses pardons au bord de leurs tombeaux.

De l’or ! tout pour de l’or ! les peuples débordés,
Dont ce monde éveilla l’avarice endormie,
Répandent dans ses champs, de leur foule inondés.
L’écume des humains que l’Europe a vomie.
Toi seul l’as dévasté, ce continent désert
Que tu semblais créer quand tu l’as découvert ;
Et des monceaux de cendre entassés sur la rive,
Des gouffres souterrains où l’on meurt lentement,
Des ossements blanchis, sort une voix plaintive
Qui pousse vers toi seul un long gémissement.

Par son rêve oppressé, Colomb, les bras tendus,
De sa couche brûlante écartait cette image.
Elle décroît, s’efface, et ses traits confondus
Se dissipent dans l’air comme un léger nuage.
Tout change : il voit au Nord un empire naissant
Sortir de ces débris fécondés par le sang ;