Tracy, il faudrait dire qu’il représente l’idéologie rationnelle.
En revanche le médecin Cabanis est le représentant de l’idéologie physiologique. Il met en lumière l’influence immense du physique sur le moral et il expose ses idées principalement dans son Traité du physique et du moral de l’homme. Il insiste sur cette idée que le moral dépend non seulement de la sensibilité externe, mais aussi de la sensibilité interne. Il se sert du rêve, de la folie, des troubles nerveux qui surgissent sans excitations extérieures pour montrer le rôle considérable que jouent les sensations internes dans la vie mentale. Il va si loin dans ce sens qu’il substitue à l’innéité psychologique une sorte d’innéité physiologique. Il aboutit ainsi à un matérialisme, mais il est juste d’observer que ce matérialisme est à vrai dire beaucoup plus méthodique que doctrinal.
En somme, la philosophie de Condillac, qui avait servi de point de départ à l’idéologie, avait été notablement modifiée par Destutt de Tracy et complètement déformée par Cabanis. Il était réservé à Maine de Biran de lui porter un coup plus rude en montrant avec beaucoup de force et de clarté que Condillac n’avait tiré la connaissance de la sensation que parce qu’il l’y avait frauduleusement introduite dès le principe, sans justifier à aucun moment le droit de sa statue à dire : « moi ». En s’attaquant à une donnée fondamentale du condillacisme, Maine de Biran, qui avait d’abord largement participé au mouvement d’idées représenté par Destutt de Tracy et par Cabanis, allait du même coup contredire et dépasser leur matérialisme pour fonder un spiritualisme à la fois nouveau et profond qui substitue à l’ancien dualisme abstrait le dualisme du sujet et de ses propres états.