Page:Delbos - La Philosophie pratique de Kant.djvu/36

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On y reconnaît cette rigidité stricte de l’entendement logique qui lie les idées par voie de conséquence directe, au lieu de cette large souplesse de la pensée spéculative qui, dans la philosophie leibnizienne, unit les idées en les faisant converger harmonieusement. Par là sans doute telle doctrine de Leibniz parut chez Wolff, même quand elle était à peu près fidèlement reproduite, plus offensive et plus dure. C’est ainsi que le problème qui naturellement tenait le plus en éveil les intelligences et les consciences, le problème du rapport de la raison avec la révélation religieuse, reçoit de Wolff en principe la solution même que Leibniz avait indiquée. Il y a d’abord, disait Leibniz, des vérités qui sont communes à la raison et à la foi et qui constituent le fonds de la religion naturelle ; quant aux vérités que les religions positives, plus spécialement le christianisme qui est la meilleure de toutes, enseignent comme des mystères, l’assentiment qu’elles réclament n’exige pas, comme le prétend Bayle, un renoncement à la raison ; il faut maintenir l’ancienne distinction entre ce qui est contraire à la raison et ce qui est au dessus d’elle ; comme les lois de la nature relèvent finalement d’une autre nécessité que la nécessité géométrique, les considérations générales du bien et de l'ordre qui les ont fondées peuvent être vaincues dans quelques cas par des considérations d’une sagesse supérieure : Leibniz d'ailleurs tendait à admettre que ces considérations exceptionnelles rentrent dans le plan du meilleur des mondes et qu’elles produisent une dérogation, non pas à l’ordre souverain des choses, mais simplement à l’ordre ordinaire et familier qui est donné dans l’expérience des hommes ; les miracles sont une introduction plus manifeste du règne de la grâce dans le règne de la nature[1]. Cette façon d’entendre la conformité de la rai-

  1. Essais de Theodicée. Discours préliminaire de la conformité de la foi avec la raison. Pl. Schr. Ed. Gerhardt, VI, p. 49 et suiv. — Cf. Em. Boutroux, Notice sur la vie et la philosophie de Leibniz, en tête de son édition de la Monadologie, 1881, p. 126-128. — A. Pichler, Die Theologie des Leibniz, 1869, I, p. 226 238.