Page:Delbos - La Philosophie pratique de Kant.djvu/38

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par miracle pourrait être l'effet de la puissance de Dieu, non de sa sagesse. L’événement miraculeux n’exige de Dieu qu’une puissance et une science en rapport avec sa singularité, tandis que l’événement qui rentre régulièrement dans le cours des choses exige une puissance et une science capables de le déterminer non seulement en lui-même, mais dans ses relations avec l’ensemble. Aussi un monde où les miracles sont rares est-il plus parfait qu’un monde où les miracles se multiplient. De toute façon, ce qu’on appelle un miracle ne peut être sans raison, et la raison du miracle doit le plus possible se coordonner, en ses moyens et ses effets, avec la raison générale qui gouverne tout[1]. Si donc Wolff ne s’opposait pas directement au supra-naturalisme des théologiens de son temps, il fournissait à coup sur des ressources pour le combattre : par là, comme aussi par sa disposition plus d’une fois manifeste à séparer le domaine de la raison de celui de la foi[2], à ne réclamer pour la raison que les simples affirmations de l’existence et des attributs de Dieu, de l’immortalité de l’âme, Wolff instituait en Allemagne, à la façon des déistes d’Angleterre, la religion naturelle.

Il agissait plus fortement encore dans le même sens par sa façon de traiter et de résoudre les problèmes pratiques. S'étant déjà occupé de ces problèmes avant de connaître Leibniz, il les posa même dans la suite avec une certaine indépendance à l’égard de la doctrine leibnizienne. En particulier, il était moins porté à admettre que les principes moraux dussent chercher un appui dans les vérités métaphysiques et dans le christianisme. Déjà Thomasius, suivant l’exemple des libres penseurs anglais, avait tenté de détacher la morale de la théologie et de la fonder sur les lois intérieures de la nature humaine : lois, disait-il, qui ne sauraient trom-

  1. Vernünftige Gedanken von Gott. etc., I. § 633-§ 642, § 1010-§ 1019, § 1039-§ 1043, pp. 386-392, 623-629, 638-642.
  2. Vernünftige Gedanken von der Menschen Thun and Lassen, 1720. § 47, p. 31-32.