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UNE NUIT DANS LA CITÉ DE LONDRES.

Londres, à l’ouest, ce West-End si célèbre par ses squares et ses domestiques poudrés, ce Londres enfin de la richesse et du luxe est complétement désert. Le monde vit dans les châteaux ; les grauss sont tués, mais il reste des perdrix, des lièvres et des faisans pour les chasseurs à tir, de plus, les moissons vont être rentrées et on commencera tout à l’heure à se casser le cou pour la plus grande satisfaction de soi-même en courant des renards ; enfin, jusqu’au mois de mars, ces manoirs immenses regorgeront de visiteurs, les intrigues des jeunes gens et les coquetteries des jeunes personnes à marier prendront de la consistance et aboutiront au printemps prochain, s’il plait à Dieu, au mariage pour la plupart : pour les autres à des résultats négatifs à reporter sur la saison de campagne suivante.

Mais à une autre extrémité de la ville, à l’est, la vie d’affaires et de commerce ne s’arrête guère ; c’est la même fièvre, la même cohue au sein de cette fourmilière appelée la cité, où dans les bureaux les plus sombres et les plus tristes se traitent les plus grandes affaires du monde : les voitures traversent Fleet street par milliers, sans ralentir un instant leur marche, l’existence vivante s’est reportée là. Derrière cette cité et en se dirigeant vers le port, vers les docks, il y a des quartiers dont Dickens a fait le théâtre de ses observations et de ses drames, et Oliver Twist a pris naissance au fond de rues où certainement dix-neuf sur vingt Anglais du West-End n’ont jamais mis le pied.

Par une conséquence bien simple j’ai eu un vif désir de me rendre compte de cette vie souterraine et de toucher du doigt la couche inférieure d’un monde qui cache si bien ses plaies aux yeux, dont la curiosité se satisfait des apparences extérieures. Je voulais depuis longtemps profiter de la première occasion pour visiter ces lieux entourés de tant de mystères ; mais cette occasion ne se présentait guère, car je parle assez bien l’anglais pour me faire comprendre, mais pas assez pour qu’on s’y méprenne, tant s’en faut ; de plus, sans guide, je n’avais aucune donnée exacte pour trouver la nuit mon chemin au milieu de ce dédale de rues obscures et enchevêtrées ; enfin, je l’avoue franchement, je ne désirais nullement en faisant parade d’un courage inutile, s’il n’est pas certain du succès, recevoir à mon entrée, dans le premier bouge venu, un traitement proportionné à mon indiscrétion, et rapporter penaud et contrit un de mes yeux crevés ou quelques côtes enfoncées,