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LIVRE SECOND

anciens, écarter même les admirables plaintes des héroïnes d’Euripide. Ni l’une ni les autres n’ont rien de commun avec le mysticisme de Racine. Les Anglais et les Allemands ont beaucoup cultivé l’élégie religieuse et morale dans laquelle entre toujours, d’une façon ou d’une autre, la pensée de la mort. Mais, à parler franchement, ils abusent un peu d’un certain attirail élégiaque : la soirée d’automne, le cyprès, la chouette, le vent du soir qui passe sur la tombe, etc. Et je ne parle pas d’Young qui souvent n’est guère supportable, mais de Gray, de Moore et même de Tennyson. Nos romantiques français ont usé du procédé avec discrétion. Cependant, leurs belles désespérances nous font sourire aujourd’hui ou nous égayent un peu. En lisant toutes ces rêveries nocturnes, toutes ces plaintes confiées aux étoiles ou au vent d’automne, nous nous laissons prendre rarement à l’émotion du poète, quelquefois même nous n’entrons pas du tout dans sa pensée, et alors le mot de l’un d’entre eux nous échappe : Pleurards de nacelle. C’est qu’en littérature, la douleur, comme la vertu, est souvent placée entre deux écueils, l’emphase et le ridicule. Il n’est donné qu’à bien peu de poètes de faire pleurer plusieurs générations de lecteurs. Nos pères portaient aux nues la chute des feuilles de Millevoye. « Ce fatal oracle d’Épidaure », ces sombres autans, ces feuilles éphémères ne les impatientaient pas du tout ; on a peine à en achever la lecture aujourd’hui. Le Rappelle-toi et le Lac restent, mais n’ont-ils pas vieilli, et les sanglots de Rolla ne paraissent-ils pas démodés ? Certaines pages de Hugo échappent à ces vicissitudes ; elles font sur nous, je le reconnais, une impression tout autrement forte que les élégies à’Esther et d’Athalie. Mais on chercherait en vain, chez lui, la distinction de Racine, son élévation de sentiments, sa douceur, son onction, ses échappées sur le ciel.