Page:Delille - L Homme des champs 1800.djvu/130

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Sur le plus vil insecte épuisent leurs pinceaux,
Et la loupe à la main composent leurs tableaux.
C’est un peintre sans goût, dont le soin ridicule,
En peignant une femme, imite avec scrupule
Ses ongles, ses cheveux, les taches de son sein.
Vous, peignez plus en grand. Au retour du matin
Avez-vous quelquefois, du sommet des montagnes,
Embrassé d’un coup-d’œil la scène des campagnes,
Les fleuves, les moissons, les vallons, les coteaux,
Les bois, les champs, les prés blanchis par les troupeaux,
Et, dans l’enfoncement de l’horizon bleuâtre,
De ces monts fugitifs le long amphithéâtre ?
Voilà votre modèle. Imitez dans vos vers
Ces masses de beautés et ces groupes divers.
Je sais qu’un peintre adroit du fond d’un paysage
De quelque objet saillant peut détacher l’image ;
Mais ne choisissez point ces objets au hasard ;
Pour la belle nature épuisez tout votre art.
Cependant laissez croire à la foule grossière
Que la belle nature est toujours régulière :
Ces arbres arrondis, droits et majestueux,
Peignez-les, j’y consens. Mais ce tronc tortueux,
Qui, bizarre en sa masse, informe en sa parure,
Et jetant au hasard des touffes de verdure,
Etend ses bras pendans sur des rochers déserts,
Dans ses brutes beautés mérite aussi vos vers.