Page:Delille - L Homme des champs 1800.djvu/74

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Comme lui je n’eus point un champ de mes ayeux,
Et le peu que j’avois je l’abandonne aux dieux ;
Mais comme lui, fuyant les discordes civiles,
J’échappe dans les bois au tumulte des villes,
Et, content de former quelques rustiques sons,
À nos cultivateurs je dicte des leçons.
Vous donc qui prétendiez, profanant ma retraite,
En intrigant d’état transformer un poète,
Épargnez à ma muse un regard indiscret ;
De son heureux loisir respectez le secret.
Auguste triomphant pour Virgile fut juste ;
J’imitai le poète, imitez donc Auguste,
Et laissez-moi, sans nom, sans fortune et sans fers,
Rêver au bruit des eaux, de la lyre et des vers.
Quand des agriculteurs j’enseigne l’art utile,
Je ne viens plus, marchant sur les pas de Virgile,
Répéter aux Français les leçons des Romains :
Sans guide m’élançant par de nouveaux chemins,
Je vais orner de fleurs le soc de Triptolème,
Et sur mon propre luth chanter un art que j’aime.
Je ne prends pas non plus pour sujet de mes chants
Les vulgaires moyens qui fécondent les champs :
Je ne viens point ici vous dire sous quel signe
Il faut planter le cep et marier la vigne ;
Quel sol veut l’olivier, dans quels heureux terrains
Réussissent les fruits et prospèrent les grains.