Page:Delille - Les Jardins, 1782.djvu/73

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À leur terrible aspect je tremble, et de leur cime
L’imagination me suspend sur l’abîme.
Je songe à tous ces bruits du peuple répétés,
De voyageurs perdus, d’amants précipités ;
Vieux récits, qui, charmant la foule émerveillée,
Des crédules hameaux abrègent la veillée,
Et que l’effroi du lieu persuade un moment.
Mais de ces grands effets n’usez que sobrement.
Notre cœur dans les champs à ces rudes secousses
Préfère un calme heureux, des émotions douces.
Moi-même, je le sens, de la cime des monts
J’ai besoin de descendre en mes riants vallons.
Je les ornai de fleurs, les couvris de bocages ;
Il est temps que des eaux roulent sous leurs ombrages.

Et bien ! si vos sommets jadis tout dépouillés
Sont, grâce à mes leçons, richement habillés,
Ô rochers ! ouvrez-moi vos sources souterraines :
Et vous, fleuves, ruisseaux, beaux lacs, claires fontaines,
Venez, portez partout la vie et la fraîcheur.
Ah ! qui peut remplacer votre aspect enchanteur ?
De près il nous amuse, et de loin nous invite ;
C’est le premier qu’on cherche, et le dernier qu’on quitte.