Page:Delluc - Monsieur de Berlin, 1916.djvu/84

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mais c’est le pire fardeau que j’aie porté et les quelques élans indomptables que j’ai imposés à tous, je les ai payés par tant et tant de navrantes concessions ! Cela va être ainsi encore une fois. On va m’obliger de jouer le personnage que j’ai peut-être exigé de tenir en d’autres temps, mais dont je n’ai plus la même envie passionnée. Et cela, au moment où je cède à une sorte d’attendrissement unique. J’aurai soixante ans un de ces jours, et voilà trente années que s’est épuisé peu à peu un idéal de colère sanglante où ma jeunesse s’épanouissait âprement. Je ne sens ni dans mon cœur ni à mes épaules la venue de la vieillesse, mais je sens un apaisement physique, un calme intérieur, qui vont peut-être me rapprocher de la grande clarté humaine, vers quoi tendent nos tempêtes. Va-t-on me forcer à bouleverser cette sérénité puissante et toute neuve, pour obéir à des folies, à d’anciennes folies nées de moi et que des esprits pesants ont adoptées trop tard ?

Depuis quelques jours, j’avais comme du bonheur, un bonheur très pur et presque physique cependant, car, ces deux semaines, je n’ai pas senti le mal s’éloigner une minute, mais je l’acceptais doucement, sans l’épouvante d’autrefois, sans cette rage vaincue qui me faisait tant de mal. Récemment encore, j’ai pensé à me détruire