Page:Delly - Dans les ruines, ed 1978 (orig 1903).djvu/121

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à tâche de vaincre la taciturnité dont il s’enveloppait… Ce fut en vain. Even lui répondait par monosyllabes sans quitter sa physionomie grave et froide, mais non plus empreinte de la rudesse maussade des mois précédents. Fréquemment, son regard, subitement adouci, se posait sur Alix ou sur Gaétan, ou bien s’abaissait vers sa mère, pour laquelle il avait des prévenances inaccoutumées.

Étaient-ce des témoignages d’un respect filial trop longtemps oublié ?… ou, plus encore, peut-être, la lente influence des jeunes êtres pleins de vie, d’innocence et de beauté qui vivaient près d’elle depuis quelques mois ?… Toujours est-il que Mme de Regbrenz semblait moins affaissée et qu’une lueur consciente traversait parfois ses pauvres yeux vagues. La vue de Gaétan — souvenir de la fille préférée — avait surtout le pouvoir d’opérer cette fugitive, mais incontestable transformation.

Et le vieux comte, lui-même, avait quelque peu changé dans cette ambiance de jeunesse et de fraîcheur morale. Son regard terne ne se chargeait plus de malveillance en s’arrêtant sur les enfants de sa fille ; il savait, parfois, leur adresser la parole avec une légère apparence d’intérêt. Ce cœur atrophié sous l’influence des doctrines athées, ce cerveau affaibli par la terrible passion qu’encourageait Georgina semblaient s’éveiller, très lentement, de leur redoutable sommeil.

— Venez-vous faire une toute petite promenade avec moi, mère ? Nous irons jusqu’au bout de la cour… La soirée est si belle ! dit Even au moment où tous se levèrent de table.

La serviette que Georgina introduisait dans son rond d’argent lui échappa des mains. Alix se baissa pour la ramasser, mais, plus prompt qu’elle, Even l’avait saisie et la tendit à sa sœur, qui la prit d’une main agitée.