Page:Delly - Dans les ruines, ed 1978 (orig 1903).djvu/155

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allumée dans l’âme de mon pauvre père. La seule apparition de sa mauvaise conseillère anéantissait mes précédents efforts… La colère m’envahit alors. Cette violence si difficilement maîtrisée en moi par la persistante influence de la religion s’échappa comme un torrent et je criai à Georgina tout mon mépris, mes longs ressentiments, je la flétris en termes amers, j’exhalai enfin toute la rancune et toutes les souffrances si longtemps amassées en moi.

» Ce fut une scène effrayante, dont je ne puis encore me souvenir sans frémir et durant laquelle je compris l’intensité de haine qui animait ma sœur contre moi. Mon père, prenant fait et cause pour Georgina, m’accabla des plus durs reproches et m’intima l’ordre de me taire ; mais j’étais lancée : je n’entendais plus rien et je jetai une dernière accusation, un dernier mépris à la face de Georgina… Mon père s’élança, sa main s’abattit sur mon visage et j’entendis ces mots affreux : « Va-t’en, je te renie, misérable ! tu n’es plus ma fille ! »

» Il me poussa hors du salon et ferma bruyamment la porte. Pendant quelques minutes, je demeurai étourdie, brisée par une douleur sans nom… En revenant à moi, une seule pensée me domina : fuir…, quitter à jamais cette demeure d’où venait de me chasser mon père.

» Des larmes brûlantes tombaient sur les objets que j’empilai hâtivement dans une valise, avec l’aide de Mathurine. En cet instant, toutes les puissances de mon être se concentraient sur une impression unique : la haine envers Georgina et… oh ! Alix, oserai-je l’écrire !… Oui, je haïssais mon père !…

» Mathurine pleurait avec moi sans essayer de me retenir. Elle savait si bien de quoi était capable ma sœur !… La brave fille aurait souhaité me suivre dans ma fuite, mais je l’en dissuadai. Malgré mon amer ressentiment, je ne voulais pas priver de cette