Page:Delly - Dans les ruines, ed 1978 (orig 1903).djvu/91

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ne la vît pas, Mlle Gaétane s’en allait dans la tour de la comtesse Anne…

— Je croyais cette tour très dangereuse… ?

— Oui, mais Mlle Gaétane n’avait peur de rien. Moi, qui étais toute jeune à cette époque, je n’y pensais guère non plus… Et, pourtant, c’est un si mauvais endroit !

— Il est hanté, peut-être, dit avec un léger sourire Alix en voyant la servante frissonner et se signer.

— Tout juste, mademoiselle. Ne savez-vous pas l’histoire de la comtesse Anne de Regbrenz ?… Cette créature maudite était sorcière et faisait ramasser, par un serviteur, dévoué à elle corps et âme, tous les petits enfants de la contrée, afin de les mettre bouillir dans une énorme marmite pour accomplir ses maléfices. Elle s’enfermait, à cet effet, dans la tour qui a gardé son nom et nul n’y pouvait pénétrer… Mais voilà que son fils, élevé à la cour du duc de Bretagne, atteignit ses vingt ans et, un beau matin, arriva à l’improviste au château, d’où sa mère le tenait soigneusement éloigné. Précisément, la comtesse Anne était depuis deux jours enfermée dans la tour, occupée à son abominable cuisine. Aucun des serviteurs n’aurait osé la déranger… Mais le jeune comte avait entendu sur la route les lamentations des mères privées de leurs enfants, les malédictions dont on chargeait Anne de Regbrenz, et il jugea le moment propice pour connaître la vérité. Marchant résolument vers la tour, il fit jeter bas la porte par son écuyer et entra… Dans une salle basse, sa mère était debout au milieu de petits corps encore pantelants et, devant elle, fumait la marmite géante. Au cri d’horreur échappé à son fils, elle se retourna… Alors, ivre de rage, elle s’élança vers le jeune seigneur, le frappa du coutelas qui avait servi à égorger les innocents et, saisie