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Page:Delly - Les deux fraternités, ed 1981.djvu/126

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LES DEUX FRATERNITÉS

sombre des bois son regard où les larmes s’étaient séchées pour laisser place à une expression de sourde révolte.

« On parle toujours de liberté, ici. Et pourtant, je n’ai même pas le droit d’avoir une opinion à moi ! murmura-t-elle. Ils font de moi une sorte d’esclave. Sans doute, croient-ils me dédommager suffisamment en me laissant participer à leur bien-être, à leur luxe. Après cela, on peut faire endurer toutes les humiliations à l’enfant trouvée, élevée grâce à la charité de M. Louviers ! »

Ses beaux yeux bleus s’imprégnaient de dureté, d’une sorte de ressentiment haineux. Et toutes les phases de sa vie lui revenaient à l’esprit, tandis qu’une tristesse irritée l’envahissait, voilait d’une ombre douloureuse son jeune regard.

Elle avait été trouvée sur la route de Clermont à Riom par Prosper Louviers, qui faisait dans ces parages une petite randonnée en automobile. Personne, dans le pays, ne savait qui elle était. Le député l’avait confiée à une paysanne du village de Lixen, il avait généreusement payé pour elle, en spécifiant toutefois que l’enfant devait être élevée sans religion. La chose ne gênait pas la nourrice, et encore moins son mari, admirateur de Prosper. On avait appelé l’enfant Claudine, et elle avait vécu jusqu’à l’âge de huit ans comme une petite paysanne. Le député l’avait alors fait entrer dans un lycée de province, dont la directrice était toute dévouée à ses