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LES DEUX FRATERNITÉS

ses dents. Quand nous serons les maîtres, les choses marcheront mieux qu’aujourd’hui !

— Hum ! dit Cyprien avec un sourire d’incrédulité railleuse. Ce qu’on en voit déjà n’est pas très encourageant.

— Tu n’y connais rien, tu n’es qu’un calotin, hypnotisé par les curés et les aristos ! Nous te ferons heureux et libre malgré toi.

— Merci bien !… mais je ne demande rien, car j’ai du travail, de la bonne volonté, je gagne bien, mes patrons paraissent assez contents de moi, et j’espère avoir bientôt une bonne petite ménagère, bien sérieuse et même pieuse. Comme je sais que le bonheur complet n’est pas de ce monde, ma foi, j’en prends ce que la Providence veut bien m’en donner, j’aurai le reste là-haut.

— Calotin !… Jésuite !

Cyprien l’enveloppa d’un regard de pitié.

— Si tu crois me dire des injures, mon pauvre vieux !… Allons, bonsoir, je m’en vais, car nous finirions peut-être par discuter trop fort. Nos idées sont tellement dissemblables !… Donne le bonjour de ma part à Zélie. Voilà longtemps que je ne l’ai rencontrée.

Il tendit sa main que Prosper serra faiblement et s’éloigna d’un pas vif.

— Espèce d’imbécile ! marmotta Prosper.

Il jeta un dernier coup d’œil sur l’élégante devanture et sur les aristocratiques clients du grand tapissier et reprit sa flânerie le long des boulevards. Son regard jaloux et haineux enve-