Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/24

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artistes d’une excessive sensibilité, subissant le choc des impressions, comme si une machine électrique leur en transmettait l’éclair, vibrant pour des riens, souffrant ou jouissant démesurément des choses, sont naturellement plus préoccupés de bien voir et de rendre juste que de s’enquérir si les mots qu’ils emploient ont leurs habitudes dans le beau monde et siègent à l’ordinaire, dans les carrosses à marteaux de l’Académie. La forme correcte, ils la remplacent par le raffinement et l’inattendu de la tournure, par le rythme et par l’élan, par des alliances hardies de mots, des accumulations calculées, des lenteurs savantes, des inflexions nuancées, des modulations capricieuses. Ils ouvrent, à tout moment, un écrin de phrases d’où sortent des éclats divergents qui surprennent, qui éblouissent et qui charment.

De là l’attrait de leurs livres, d’un art aigu, d’une étrangeté et d’un abandon qui marquent l’état d’esprit qui les a produits, livres qui dégagent une sorte d’attirance et de fascination, mais qui, trop souvent, semblent sortis, tout saignants, d’un immense effort et d’une grandissime souffrance. Ils sont vraiment des œuvres de blessés. Pour écrire de la sorte, il faut avoir non seulement vu et senti, mais souffert du choc maladif des sensations. Aussi ces artistes vibrants, palpitants et endoloris à l’état chronique, sortes d’écorchés qui traversent la vie en se cognant à tous ses angles, sont-ils les premiers à pâtir de la réalité qu’ils décrivent. Ils ont développé en eux une capacité douloureuse de sentir. Leur manière d’être, leur visage portent l’empreinte de la préoccupation incessante qui les possède. L’affinement excessif de leur système nerveux a altéré les rapports entre les divers organes de la vie, l’individu s’est déséquilibré. Parfois le cerveau se