La guerre, — car je crois qu’elle éclatera malgré tout, — c’eût été pour mon frère et pour moi, une grande tentation de la voir de près[2], car nous avions eu toujours l’ambition de faire, sur cette chose attirante et mal connue, un livre de visu. Maintenant qu’est-ce que cela me fait !
Oui, j’ai lu l’article de Monselet qui m’a presque étonné par sa sympathie. Je ne connais pas les photographies de Legé ; celle que je préfère de mon frère est celle — vous étiez là — qu’en a fait, je crois, Conteur, à Vichy.
Je me promène dans les sentiers le long de la Seine, dans les petits bois odorants de lavande d’où nous avons tiré nos descriptions de Charles Demailly. Je fume beaucoup ; je prends quelques bains froids, je me souviens et je rêvasse ; voilà toute ma vie qui me paraît éternelle. Aujourd’hui, j’ai reçu des propositions de vente de la maison d’Auteuil, et l’idée de m’en aller de cette maison où j’ai été cependant si malheureux, me déchire le cœur. C’est bête et déraisonnable, mais c’est comme cela. Je vous reverrai avec bien du plaisir…
Connaissez-vous, vos amis connaissent-ils un grand atelier avec un petit appartement à louer, dans le quartier Vintimille ou Frochot ?
Je vis en face de ce paysage[3], dans la maison qui est contre l’église. J’habite une chambre d’un chalet qui a de petites fenêtres maillées de plomb, qui a, pour rosace de plafond, une adoration de Jésus-Christ sur la croix. Je vous écris dans un gothique fauteuil, à grandes oreilles et à clous de porcelaine. Je vous écris ayant un peu perdu le sentiment de mon identité et me demandant parfois si une incarnation bavaroise n’a pas fait de moi un vieux prêtre catholique chargé d’apprendre à lire à ces affreux gamins qui se gargarisent avec des consonnes ; chargé, hélas ! aussi de confesser ces horribles femmes qui portent, par économie, des culottes toute la semaine.