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Page:Demanche - Au Canada et chez les Peaux-Rouges, 1890.djvu/165

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RIEL ET L’INSURRECTION DES MÉTIS

hypothèse et ne prend-il pas habituellement pour des fous ceux qui ne pensent pas comme lui ?

La folie n’était-elle point simulée ? Non, car dans ce cas Riel ne se serait pas défendu d’être fou. Celui qui simule la folie fait porter la simulation sur tous ses actes, tandis que Riel avait de longs intervalles lucides, surtout quand il ne parlait ni politique ni religion. Un simulateur ne fera jamais preuve de sagesse, de grandeur d’âme et même d’esprit à côté de sa folie. Or, Riel, parmi les nombreuses notes et pensées écrites dans sa prison, laissait percer, au milieu de ses divagations d’esprit, des éclairs de bon sens. La plupart de ces écrits ont été détruits par lui ; néanmoins, voici quelques bribes de ses pensées, recueillies à Regina même, et dont l’original est entre nos mains. C’est d’abord un manifeste de fière indépendance, dans lequel éclate à chaque ligne sa haine contre l’Angleterre ; puis, après cela, des pensées vagues et diffuses ne dénotant que trop bien l’incohérence de son esprit.


L’Angleterre ne s’est affirmée comme suzeraine du Nord-Ouest, en 1670, que pour soumettre ce vaste territoire et ses nombreux aborigènes au monopole de la Compagnie des Aventuriers de la Baie d’Hudson.

La charte du roi Charles II donna à cette Compagnie le privilège de faire la traite des pelleteries dans ces contrées à l’exclusion de tous autres gens, priva ainsi gratuitement le Nord-Ouest de son droit de trafiquer avec le monde, et le monde de son droit de trafiquer avec le Nord-Ouest ; frustra le Nord-Ouest des avantages du commerce universel, et fit perdre aux hommes, en général, les bénéfices du trafic avec les tribus et les peuplades de ce grand territoire.

Ce qui l’aida le plus à ruiner mes aïeux indiens du Nord-Ouest, c’est qu’en devenant riche à leurs dépens (sic), et au fur et à mesure qu’elle gagna de l’influence auprès des autorités anglaises, cette Compagnie devint elle-même le gouvernement des contrées de la Baie d’Hudson, et ne les gouverna jamais que pour les fins de son avarice et de sa cupidité.

L’autocratie commerciale unie au pouvoir public dans la Compagnie fit de cette bande d’aventuriers un chancre, un monstre qui dévora le Nord-Ouest et l’immensité de ses richesses en pelleteries pendant plus d’un siècle et demi.

Cette réclamation que l’Angleterre a faite de mon pays, pour le donner avec mes pères en proie à des brigands, a été un abandon et une profanation de ses devoirs de suzeraine. Et puisque l’histoire de sa domination sur nous est là pour prouver irrécusablement qu’elle a commis cet abandon criminel, je m’en prévaux. J’invoque cette trahison internationale dont elle a fait grandir la culpabilité depuis 1670 jusqu’à 1849. Je dénonce le système de brigandage dans lequel elle s’est obstinée de la sorte durant cent soixante-dix-neuf ans. Je proclame que l’Angleterre a forfait à tous ses droits de gouvernement sur le Nord-Ouest.

Je déclare mon pays libre de son joug et de sa tyrannie en suppliant l’Homme-Dieu que j’adore d’une manière toute particulière, de me soutenir et de soutenir ma déclaration ; et en priant les hommes de m’aider autant que les circonstances le leur permettront, autant que la Providence voudra leur en donner la facilité.

Louis « David » Riel.