Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/109

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remplis d’une immense quantité de télégrammes, de félicitations, de déclarations envoyés de tous les coins de la Russie par toutes sortes de groupements, d’organisations et d’institutions sociales et militaires, y compris celles dont le démocratisme était hors de doute. Au fur et à mesure que le gouvernement faiblissait et perdait sa personnalité, passant successivement à deux coalitions, la confiance de ces milieux tombait, sans être compensée par une plus grande sympathie de la part de la démocratie révolutionnaire, au sein de laquelle s’accusaient de plus en plus des tendances anarchiques, qui niaient tout pouvoir, quel qu’il fût.

Vers le commencement du mois de mai, après la manifestation armée dans les rues de Pétrograd, manifestation qui eut lieu à l’insu du Soviet mais à laquelle ses membres avaient pris part ; après la démission de Goutchkov et de Milioukov, l’impuissance absolue du Gouvernement Provisoire devint si évidente que le prince Lvov, d’accord avec le Comité de la Douma d’Empire et avec le parti cadet, s’adressa au Soviet, invitant « à prendre une part directe à l’administration de l’État… les forces créatrices et actives du pays qui jusqu’à présent n’y avaient pas participé d’une façon directe et immédiate ». Après quelques réticences, le Soviet se vit obligé de consentir à ce que ses membres entrassent au Ministère ([1]), assumant ainsi la responsabilité directe pour le sort de la révolution. Le Soviet se refusa à prendre tout le pouvoir, car « si tout le pouvoir passait aux Soviets des députés des ouvriers et des soldats dans la période actuelle de la révolution russe, les forces de celle-ci seraient considérablement amoindries, puisque certains éléments, capables de la servir, en seraient prématurément éliminés, et la révolution serait menacée d’effondrement ([2]) ». Il est facile de s’imaginer l’impression que des résolutions de ce genre faisaient à la bourgeoisie et à ses « otages » dans le ministère de coalition.

Et bien que le Soviet eût voté son entière confiance au nouveau gouvernement et eût appelé la démocratie « à lui prêter un appui actif lui assurant toute la plénitude du pouvoir ([3]) », ce pouvoir était définitivement compromis et perdu. Les milieux socialistes, en envoyant leurs représentants au gouvernement, n’avaient ni modifié ni renforcé ses qualités intellectuelles. Ils les avaient, au contraire, affaiblies, en élargissant l’abîme béant entre les deux groupements politiques représentés au ministère. Tout en exprimant officiellement sa confiance au gouvernement, le Soviet continuait, en fait, à ébranler son pouvoir et se montrait, en même temps, de plus en plus froid à l’égard des ministres socialistes obligés,

  1. Les membres du Soviet qui entrèrent au Gouvernement furent Skobelev (Travail), Tchernov (agriculture), Piechekhonov (ravitaillement), Tsérételli (postes et télégraphes).
  2. Résolution du Congrès Panrusse ; juin 1917.
  3. Résolution du Soviet, le 5 mai.