sans aucun doute, la valeur combative du corps des officiers et introduisirent une certaine différenciation dans son aspect politique, en le rapprochant encore plus de la masse des intellectuels moyens, de la démocratie. C’est ce que les chefs de la démocratie révolutionnaire n’ont pas su ou, plutôt, n’ont pas voulu comprendre aux jours de la révolution.
(Au cours de mon exposé ultérieur j’oppose partout la « démocratie révolutionnaire », conglomérat des partis socialistes, à la véritable démocratie russe à laquelle appartiennent, sans nul doute, les intellectuels moyens et les officiers du service actif.)
Cependant, l’ensemble des officiers de carrière avait, lui aussi, peu à peu changé d’aspect. La guerre japonaise qui avait révélé les tares profondes dont souffraient le pays et l’armée, la Douma d’Empire et la presse, devenue un peu plus libre depuis 1905, avaient joué un rôle important dans l’éducation politique des officiers. L’ « adoration » mystique du monarque commençait, peu à peu, à s’évanouir. Il se trouvait parmi les généraux de la génération nouvelle et les officiers, de plus en plus d’hommes sachant distinguer entre l’idée monarchiste et la personnalité du monarque, entre le bonheur de la Patrie et la forme du régime. L’analyse, la critique, voire le blâme sévère pénétraient largement dans les milieux d’officiers. Des bruits coururent — non sans raison — sur l’existence d’organisations secrètes d’officiers. Certes, ces organisations, étrangères à toute la structure de l’armée, ne pouvaient ni acquérir une grande influence, ni jouer un rôle important. Cependant, elles inspiraient de graves inquiétudes au Ministère de la Guerre, et, en 1908 ou 1909, Soukhomlinov fit secrètement savoir aux chefs supérieurs qu’il était nécessaire de prendre des mesures contre la société secrète fondée par les officiers mécontents des lenteurs et de l’absence de toute méthode que l’on pouvait observer dans la réorganisation de l’armée, réorganisation qu’ils voulaient, prétendait-on, accélérer par des moyens violents.
Dans ces conditions, il est plutôt étonnant que nos officiers soient, malgré tout, demeurés loyaux et se soient opposés, avec une grande fermeté, aux tendances anti-étatistes de gauche. Le nombre d’officiers s’étant prêtés à des menées clandestines ou démasqués par les autorités, a été infime.
Quant à l’attitude vis-à-vis du trône, les officiers tendaient, en règle générale, à séparer la personne de l’empereur de la boue de la Cour qui l’entourait, des erreurs politiques et des crimes du gouvernement, qui, d’une façon manifeste et fatale, conduisait le pays à la ruine et l’armée à la défaite. Quant à l’empereur, il était excusé, on cherchait à le justifier.
Dans la masse des soldats, contrairement à ce que l’on croit généralement, l’idée monarchiste n’avait pas de racines mystiques et profondes. Mais cette masse peu cultivée se rendait encore moins compte des autres régimes préconisés par les socialistes de diverses