Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/128

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

du ravitaillement, on ne peut expliquer la crise par des phénomènes d’une seule catégorie, ainsi que le faisaient dans leurs accusations réciproques les industriels et les commerçants d’une part, et les ouvriers de l’autre, ceux-ci reprochant à ceux-là leurs bénéfices de rapine et un sabotage tendant à faire échouer la révolution ; à quoi les industriels répliquaient en accusant les ouvriers de fainéantise et de prétentions excessives, tendant à exploiter la révolution dans leur intérêt égoïste.

Les causes de la crise peuvent être classées en trois catégories.

Dès avant la guerre, à la suite de multiples conditions politiques et économiques, y compris le peu d’attention que le pouvoir prêtait au développement des forces productrices du pays, notre industrie se trouvait dans une situation instable et dépendait, dans une large mesure, des marchés étrangers, même en ce qui concernait des marchandises que l’on pouvait, semblait-il, produire dans le pays. Ainsi, en 1912, l’industrie russe s’était ressentie d’un manque considérable de fonte et, en 1913, d’une crise sérieuse des combustibles ; l’importation des métaux passa de 29 % en 1908, à 34 % en 1913 ; avant la guerre, 48 % de notre coton venait de l’étranger ; pour une production globale de 5 millions de pouds de tissus, on avait besoin de 2, 75 millions de pouds de laine étrangère, etc. ([1]).

La guerre eut, incontestablement, une influence profonde sur la situation de l’industrie : l’importation normale se trouvait suspendue et nous perdions les mines houillères de Dombrovo ; les transports et, par conséquent, l’arrivage du combustible et des matières premières, se trouvaient réduits du fait des nécessités des transports stratégiques ; la plupart des usines et des fabriques travaillaient pour les besoins de la défense nationale ; les mobilisations successives diminuaient la quantité et la qualité de la main-d’œuvre, etc. Au point de vue économique, cette militarisation de l’industrie pesait lourd à la population, car, d’après les calculs du ministre Pokrovsky, l’armée absorbait de 40 à 50 % de toutes les richesses matérielles produites par le pays ([2]). Enfin, au point de vue social, la guerre avait accentué la dissension entre deux classes, celle des industriels et des commerçants, d’une part, et celle des ouvriers de l’autre ; tandis que les uns touchaient des bénéfices scandaleux ([3]) et s’enrichissaient à vue d’œil, la situation

  1. Les données statistiques citées dans cet article sont empruntées au rapport du professeur G….r, en 1920, et aux déclarations de Koutler, Chingarev, Pokrovsky, Skobelev, etc., en 1917.
  2. Entre autres, 75 % des tissus fabriqués allaient à l’armée.
  3. À la fin de novembre 1916, on révéla, du haut de la tribune de la Douma d’Empire, quelques-uns de ces « bénéfices de guerre » pour l’année 1915-1916 : la Société Riabouchinsky : 75 % de bénéfice net ; la Manufacture de Ter : 111 % ; la Cuivrerie de la Société Koltchouguine : 12, 2 millions de roubles pour un capital social de 10 millions.