Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/141

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inouïes. Les arrivages de l’artillerie et du matériel de guerre, dirigés par les Alliés sur Mourmansk et Arkhangelsk, avaient également augmenté. Au commencement du printemps nous possédions un 48ème corps d’armée puissant — appellation qui servait à désigner l’artillerie lourde à destination spéciale, le « Taon »[1], comprenant les plus gros calibres. Au commencement de l’année, on avait procédé à la réorganisation des troupes techniques (génie) en vue d’en augmenter considérablement le nombre. En même temps, on avait entrepris la formation de nouvelles divisions d’infanterie. Cette dernière mesure, appliquée par le général Gourko alors qu’il se trouvait par intérim à la tête de l’état-major du généralissime, consistait en ceci : les régiments d’infanterie composés de quatre bataillons n’en comprenaient désormais que trois et le nombre de canons revenant à chaque division était diminué ; cette réduction était compensée par la formation, dans chaque corps d’armée, d’une troisième division, dûment complétée et pourvue d’une petite artillerie. Au fond, une pareille organisation, réalisée en temps de paix, eût certainement donné plus de souplesse aux corps d’armée et en eût sensiblement augmenté la force. Mais en temps de guerre il était assez risqué de l’aborder : lorsque vint le temps des opérations de printemps, les anciennes divisions étaient déchiquetées et les nouvelles présentaient un aspect des plus lamentables tant au point de vue de l’armement (mitrailleuses, etc.), qu’au point de vue de leur préparation technique et matérielle ; beaucoup d’entre elles n’avaient pas encore eu le temps d’atteindre la cohésion intérieure indispensable, et cette circonstance eut une portée particulièrement grave lorsqu’éclata la révolution. La situation était tellement critique qu’au mois de mai le G.Q.G. fut contraint d’autoriser le front à dissoudre celles des troisièmes divisions qui feraient preuve de trop peu de combativité. Ces divisions réformées devaient fournir des renforts aux effectifs de première ligne ; cependant, cette mesure ne fut presque pas appliquée, car elle se heurta à une vive opposition des unités déjà contaminées par le mouvement révolutionnaire.

Une autre mesure qui affaiblit sensiblement les rangs, fut la libération des vieilles classes.

Cette mesure, adoptée à la veille de l’offensive générale et grosse de conséquences, fut motivée par la déclaration faite le 30 mars, à la conférence qui eut lieu au G.Q.G., par le Ministre de l’Agriculture, Chingarev[2]. Aux termes de cette déclaration il apparaissait que la situation du ravitaillement était critique et que le Ministère ne pouvait assumer la responsabilité pour le ravitaillement de l’armée à moins que le nombre de rations à distribuer ne fût

  1. Désignation formée par les lettres initiales des mots précédents (en russe).
  2. Le Ministère de l’Agriculture gérait également les services du ravitaillement.