Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/155

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total de leurs effectifs et de leurs ressources matérielles et morales. Déjà en automne 1916, notre offensive, sans être couronnée d’un succès stratégique décisif, avait mis les armées ennemies dans une situation critique ; que serait-ce donc à présent que nos forces et notre matériel s’étaient accrus, que la situation avait sensiblement changé à notre avantage et que les Alliés se préparaient, au printemps de 1917, à porter à l’adversaire un coup foudroyant ? Les Allemands attendaient ce coup avec un malaise angoissé ; pour l’esquiver, ils avaient, dès le mois de mars, reculé leur front entre Arras et Soissons (sur une étendue d’environ 100 kilomètres), le portant à une trentaine de kilomètres en arrière, jusqu’à la ligne dite de Hindenburg, et en faisant subir aux régions abandonnées une dévastation sans exemple et que rien ne justifiait. Ce recul était significatif en tant que symptôme évident de la faiblesse de l’ennemi, et il permettait d’espérer beaucoup pour l’avenir… Nous ne pouvions ne pas prendre l’offensive : étant donnés la désorganisation totale de notre service de contre-espionnage, résultat de la méfiance dont il était l’objet de la part de la démocratie révolutionnaire qui, par ignorance, en avait confondu les fonctions avec celles de la police secrète abhorrée ; étant donné les rapports qui s’étaient établis entre bon nombre de représentants du Soviet et les agents de l’Allemagne ; étant donné, enfin, le contact facile entre les fronts et les chances qu’il offrait à l’espionnage ennemi — notre décision de nous abstenir de l’offensive serait, sans aucun doute, parvenue à l’ennemi qui aurait immédiatement commencé le transfert de ses troupes sur le front occidental. Cela aurait équivalu à une trahison directe vis-à-vis des peuples alliés et aurait abouti, sinon officiellement, du moins en fait, à un état de paix séparée avec toutes ses conséquences. Cependant, l’état d’esprit des milieux révolutionnaires de Pétrograd semblait, dans l’occurrence, tellement hésitant qu’il fit naître, au Quartier Général, une méfiance dénuée de tout fondement à l’égard du Gouvernement Provisoire lui-même. Ceci donna lieu à l’incident suivant. À la fin d’avril, pendant l’absence du Généralissime, le chef de la chancellerie m’apprit qu’un grand émoi régnait parmi les attachés militaires étrangers : on venait de recevoir un télégramme de l’ambassadeur d’Italie à Pétrograd, affirmant d’une façon catégorique que le Gouvernement Provisoire avait décidé de conclure une paix séparée avec les puissances centrales. M’étant assuré qu’un pareil télégramme avait été en effet reçu et ignorant, à cette époque, que la légation italienne, grâce au caractère expansif propre à ses membres, avait déjà plus d’une fois servi de source de fausses informations, j’envoyai au Ministre de la Guerre une dépêche conçue en termes très énergiques et qui concluait ainsi : « Nos descendants flétriront de leur mépris la génération veule, impuissante et sans volonté, dont les forces ont suffi pour renverser un régime pourri, mais non pour sauvegarder l’honneur, la