Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/158

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d’engager une action sérieuse au front de l’Est ». Mais, par la suite… « il y eut au Grand Quartier de grandes discussions à ce propos. Une offensive rapide au front de l’Est, à laquelle auraient pris part les troupes mêmes qui se trouvaient à la disposition du commandant en chef de ce front, offensive soutenue par quelques divisions qu’on eût fait venir de l’Ouest, n’était-ce pas une meilleure solution que l’attente ? C’était le moment ou jamais, disaient d’aucuns, de battre l’armée russe au moment où sa valeur combative se trouvait affaiblie. Je n’y consentis pas, encore que la situation à l’Ouest se fût améliorée. Je ne voulais faire rien qui pût, semblait-il, détruire la chance réelle de paix… »

D’une paix séparée, bien entendu. Ce qu’elle devait être, nous l’apprîmes plus tard, après Brest-Litovsk.

Les armées reçurent des instructions en vue de l’offensive. Son idée directrice était de rompre les positions ennemies sur les secteurs dûment préparés de tous les fronts européens, de déclencher une offensive de grande envergure à laquelle prendraient part des forces importantes du front du Nord-Ouest, et qui serait dirigée, de Kamenetz-Podolsk sur Lemberg et plus loin sur la ligne de la Vistule ; en même temps le groupe de choc du front de l’Ouest devait attaquer en partant de Molodetchno dans la direction de Vilno et du Niémen, en refoulant vers le Nord l’armée allemande d’Eichhorn. Les fronts du Nord et de Roumanie soutenaient l’opération par des actions partielles qui attiraient sur eux des forces ennemies.

Le moment de l’offensive n’était déterminé que d’une façon hypothétique et très vague. Cependant, les jours se suivaient et les troupes qui autrefois étaient dirigées par leurs chefs et exécutaient sans murmure les tâches les plus lourdes ; ces troupes qui de leurs corps, sans munitions, ni obus, avaient autrefois arrêté la ruée des troupes austro-allemandes, ces mêmes troupes demeuraient à présent inertes, leur volonté paralysée, leur raison obscurcie. Le commencement de l’action se trouvait continuellement ajourné.

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Cependant les Alliés, qui avaient préparé pour le printemps une opération de grande envergure et qui prévoyaient un renforcement de l’ennemi sur le front occidental au cas où l’armée russe aurait été définitivement disloquée, les Alliés, sans attendre la solution définitive de la question de notre offensive, engagèrent en France, à la fin du mois de mars, une grande bataille qui était prévue dans le plan général de la campagne. D’ailleurs, même avant la ruine de l’armée russe, la simultanéité des opérations n’était pas considérée par les Grands Quartiers alliés comme une condition indispensable de l’offensive projetée. Vu les conditions physiques et